Aidants proches: Et votre santé ? Parlons-en !
Le problème, avec les aidants proches, c’est que beaucoup d’entre eux s’ignorent. Comment éviter les risques quand on ne sait pas qu’ils existent ? Parce que la santé des aidants proches est en danger, l’asbl qui leur est dédiée a lancé une campagne pour les amener à se reconnaître. Et à ne pas refuser pour eux-mêmes l’aide qu’ils prodiguent aux autres.
Il y a Éric, qui combine tant bien que mal ses activités de graphiste indépendant avec les soins à son épouse malade. Aurélie, qui a consacré 14 ans à son mari, atteint de la maladie d’Alzheimer et ne supportant “aucun étranger auprès de lui”. Janine, qui a renoncé à son métier d’enseignante pour s’occuper de sa fille, dont le retard mental profond nécessite un encadrement 24 heures sur 24. Luc, employé communal divorcé, qui s’est installé chez sa mère hémiplégique le temps de trouver “une meilleure solution” et a fini par mettre son propre appartement en location. Véronique, qui a commencé par faire les courses de sa voisine âgée, et en est arrivée à la prendre complètement en charge. Et… vous, peut-être?
Pas si normal que ça
Car, devenir aidant proche, ça peut arriver à tout le monde. “La plupart des aidants proches ne se décrivent d’ailleurs pas comme tels”, souligne Sigrid Brisack, directrice de l’asbl Aidants Proches*. “Ils disent : ‘c’est normal que je l’aide, je suis son conjoint, son fils, son amie…’ Sans même se rendre compte que, plus la maladie ou le handicap de l’aidé deviennent envahissants, moins l’aidant a le temps de penser à lui-même…” Définis comme des ‘intervenants non professionnels, offrant un soutien moral, physique ou matériel à un proche en manque d’autonomie’, qui appartient dans 7 cas sur 10 au cercle familial, mais peut aussi être un(e) ami(e) ou un(e) voisin(e), les aidants proches représentent au moins 10% de la population, et leurs prestations varient de quelques heures par semaine au non-stop – 7 jours sur 7, 24 heures sur 24. L’impact de leur rôle sur leurs activités professionnelles est évident : nombre d’entre eux doivent les réduire, voire les arrêter. Mais, ils en arrivent aussi à négliger leur vie sociale et familiale, leurs loisirs… et même leur santé. Plus l’aide, souvent assez légère au début, s’alourdit, plus leur qualité de vie se détériore. La fatigue s’accumule, l’impression de ne plus pouvoir ‘refuser de venir en aide’ s’accroît, le découragement s’installe, le burnout n’est pas loin.
À bout de forces
“Le premier volet de notre projet a donc été une campagne de sensibilisation”, explique Sigrid Brisack. “Nous avons réalisé un spot radio et télé, qui a déjà été diffusé à trois reprises en 2021, quinze jours d’affilée, sur les chaînes francophones. Les petites scènes de vie qu’il évoque sont destinées à aider les aidants, quel que soit leur profil, à s’identifier et à prendre conscience que ce rôle qu’ils endossent souvent comme allant de soi – c’est mon enfant, mon conjoint, mon papa, ma voisine que j’aime bien, ça part d’un élan naturel – n’est pas tous les jours facile. Et que, quelles que soient la forme ou la durée du soutien apporté, ils ont le droit, en tant qu’aidants, de se sentir à bout de forces, d’avoir besoin de quelqu’un à qui parler, à qui exprimer leurs difficultés, leur ras-le-bol, parfois leur colère… Ce sont les coordonnées de notre association qui figurent à la fin du spot. Mais, nous ne sommes évidemment qu’un maillon de la chaîne. L’important, c’est que les aidants sachent qu’ils ne sont pas seuls, qu’il existe des structures spécifiques pour eux, et pas uniquement pour les personnes malades, et que, tout aidants qu’ils soient, ils peuvent, eux aussi, obtenir de l’aide.”
6 fois plus d’appels
Et ça marche! À chaque ‘tranche’ de la campagne, pendant les quinze jours de diffusion du spot et les deux semaines suivantes, les appels à l’asbl ont été multipliés par six ! “Nous ne sommes pas une ligne d’écoute 24 heures sur 24, mais les aidants savent que nous sommes là pour eux, prêts à les écouter, même lorsqu’ils fondent en larmes au téléphone, parce qu’ils se sont retenus trop longtemps devant la personne aidée, et à réfléchir avec eux à des solutions possibles. Parfois, d’ailleurs, ce sont les aidés qui nous appellent, en disant ‘Je m’inquiète pour mon épouse, je m’inquiète pour ma fille, pouvez-vous faire quelque chose pour elle ?’ L’impact quantitatif et qualitatif de cette campagne a dépassé tous nos espoirs !” Pour renforcer cet impact, l’asbl a fait imprimer des affiches et des dépliants reprenant les visuels et les messages clés de la campagne. “Nous allons les envoyer aux médecins généralistes, aux hôpitaux et aux maisons médicales. Ils portent notre site internet et notre numéro de téléphone, mais aussi un QR Code, qui permettra aux personnes qui le désirent de revoir le spot.”
Les leçons de la pandémie
Pour le deuxième volet de son projet Littératie en santé, l’asbl a ciblé l’impact de la crise sanitaire sur les aidants proches. “Avec le premier confinement, en mars 2020, nous avons reçu de nombreux témoignages d’aidants en grande difficulté : les professionnels du domicile avaient diminué leurs prestations, parfois à la demande de leurs bénéficiaires eux-mêmes, pour réduire les contaminations; le télétravail s’était généralisé, mais il n’est pas facile de télétravailler quand on cohabite avec un proche malade ou présentant des problèmes de comportement…; et l’isolement social des aidants, déjà pénible en temps normal, était devenu intolérable. Soutenus par la Haute École de Gand, nous avons donc élaboré un questionnaire sur cette expérience de (dé)confinement et, à partir des réponses obtenues, nous avons organisé, le 1er octobre 2020, un colloque réunissant aidants, partenaires professionnels et personnes-ressources (universitaires, professionnels du non-marchand…)” Intitulé Le déconfinement… made in aidants proches, ce colloque a montré que la pandémie et son (dé)confinement avaient en fait servi de révélateurs à la réalité quotidienne des aidants, et qu’il était urgent de tirer les leçons de ce passé récent, afin de “préparer l’avenir par la mobilisation de notre intelligence collective”.
Signes avant-coureurs
Le troisième et dernier volet du projet est un livret sous forme numérique et papier, qui rappelle que la santé n’est pas seulement physique. “L’attention doit également se porter sur la santé psychologique, la santé émotionnelle, la santé relationnelle… Ce message s’adresse aux aidants proches, mais aussi à tous les professionnels qui sont en contact avec eux à travers les personnes malades, âgées ou porteuses d’un handicap, et qui sont bien placés pour déceler les signes, généralement très discrets, d’un mal-être qui aboutit souvent à la dépression, voire au burnout.” La seule crainte de Sigrid Brisack est que, malgré ses retombées positives indubitables, ce projet de littératie en santé ne réussisse pas à atteindre toutes les personnes concernées. “Nous avions l’intention d’aller vers un public multiculturel, plus précaire, plus vulnérable, mais la pandémie nous en a empêchés. Bien que nous nous soyons efforcés de simplifier notre communication et que nous y ayons introduit des profils divers, afin de toucher tout le monde, je ne suis pas sûre que nous y ayons réussi. Or, ce sont précisément les personnes accaparées par des préoccupations basiques – manger, avoir un logement décent – qui ont le plus tendance à négliger leur santé, et les aidants proches ne font pas exception à la règle !”
Moi, j’aide
Même si le projet porté par le Fonds Dr Daniël De Coninck touche à sa fin, l’asbl Aidants Proches n’a donc pas l’intention de relâcher ses efforts. D’autant que, malgré la campagne, le colloque et le livret, certains aidants proches ne savent toujours pas qu’ils le sont. “En animant récemment une formation pour de futures aides familiales, j’ai abordé la question des aidants proches. Une des élèves m’a dit : ‘Moi, j’aide mon beau-père, mais je ne suis pas aidante proche !’ Or, elle l’était bel et bien et, au fil des échanges, elle a fini par s’en rendre compte. Avec les aidants proches, l’invitation ‘Parlons-en !’ est donc plus que jamais d’actualité.”
* Site web : www.aidants-proches.be. Vous trouverez le spot télévisé sur le site wallonie.aidants-proches.be, ainsi que toutes les vidéos relatives au colloque du 1er octobre 2020 (wallonie.aidants-proches.be/sap-2020-colloque-ressources/).
Personne de contact : Sigrid Brisack
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