Alter Ergo : pour redonner du plaisir

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L’ergothérapie, ce n’est pas seulement du conseil en aménagement du domicile. Pour les personnes en perte d’autonomie, c’est l’assurance de réaliser leur projet de vie, avec des moyens différents, mais un plaisir renouvelé.

« Une des dernières demandes que j’ai reçues émanait d’une dame qui, malgré ses difficultés motrices, voulait pouvoir reprendre le bus pour se rendre au centre de l’agglomération où elle vit. Des demandes concrètes comme celle-là prouvent que la profession d’ergothérapeute commence enfin à être comprise, tant par les prestataires de soins que par les bénéficiaires. Le rôle de l’ergo, c’est d’entrer dans le quotidien d’une personne, d’examiner son environnement, d’analyser ses activités, d’évaluer ses habilités physiques et motrices, mais aussi cognitives, comportementales et psychologiques, et ensuite, en partant de son projet de vie, de la coacher pour qu’elle puisse réaliser ses objectifs ».

Gagnant-gagnant
Cette conception de la réadaptation ergo, l’ergothérapeute Véronique Manguette, qui travaille dans les soins à domicile depuis plus de dix ans, l’a d’abord développée à Liège, dans le cadre d’un projet Protocole 3 destiné aux 60 ans et plus, toutes pathologies confondues. « L’idée était d’épargner les soignants tout en stimulant les bénéficiaires, afin d’obtenir un résultat gagnant-gagnant. Nous expliquions par exemple aux infirmières comment effectuer un transfert plus autonome du lit au fauteuil, ou aux aides familiales comment réapprendre à la personne à utiliser ses couverts, plutôt que de lui donner à manger ». Pour elle, pas question de considérer l’interruption de ce projet comme un clap de fin. « Comme j’habite Verviers, j’ai été frapper à la porte d’Aide et soins à domicile (ASD) Verviers. Après de longues discussions, le directeur général, Marc Gérard, m’a donné le feu vert pour lancer le projet Alter Ergo*, pour lequel nous bénéficions de l’aide du Fonds Dr. Daniël De Coninck ».

Système de cotation
Si certaines des demandes adressées à Alter Ergo proviennent des bénéficiaires eux-mêmes, les professionnels de terrain sont de plus en plus nombreux à se tourner vers l’ergothérapie. « Le kiné, le médecin, l’infirmière, mais surtout l’aide familiale, qui est là dans la durée et a donc le temps d’observer le ou la bénéficiaire. Les aides familiales, d’ailleurs, aiment entendre nos propositions, pour pouvoir aider à les mettre en pratique par la suite ». Une première visite permet à l’ergothérapeute de dresser, avec la personne, la liste de ses objectifs. « Nous utilisons un outil canadien qui permet de coter la satisfaction éprouvée par la personne dans ses différentes activités. Tout dépend évidemment du bénéficiaire et du regard qu’il•elle porte sur lui•elle-même. Pour la toilette, par exemple, la personne qui apprécie la venue de l’infirmière se donnera un 8, alors que celle qui déteste sa dépendance et voudrait pouvoir se laver seule se limitera à un 3 ou un 4 ».

Bora-Bora
Dès la visite suivante, l’ergothérapeute commence à travailler sur les objectifs mis en évidence. « Des objectifs qui doivent parfois être interprétés », reconnaît Véronique Manguette. « Ainsi, une bénéficiaire s’en était fixé de totalement fantaisistes, comme ‘aller à Bora-Bora’. Mais, toute sa liste exprimait une seule et même envie : sortir de chez soi, changer d’air. Finalement, il s’est avéré qu’elle voulait pouvoir aller faire ses courses elle-même, au quotidien, au lieu de rester enfermée chez elle pendant que sa fille ou une autre personne serviable les faisait à sa place ». L’ergothérapeute transmet alors ces objectifs aux autres prestataires de soins, afin de pouvoir travailler en interdisciplinarité. « Si l’objectif de la personne est d’aller faire ses courses, je collabore avec l’aide familiale, et surtout avec le kiné, qui doit savoir que la personne doit récupérer suffisamment d’endurance pour aller jusqu’au magasin, où elle doit pouvoir monter deux marches… En pareil cas, le coaching ergo, le travail du kiné et l’accompagnement de l’aide familiale se combinent pour aider la personne à atteindre son but ».

Entraide
Les aidants proches ne sont évidemment pas oubliés. « Nous travaillons beaucoup avec eux, en concertation avec le psychologue, parce qu’il arrive que le bénéficiaire soit réceptif au changement, mais que l’aidant bloque. Je me souviens par exemple d’une dame qui était devenue hémiplégique à la suite d’un avc. Elle pouvait récupérer, mais son époux n’était pas participatif du tout, comme s’il n’y croyait pas… Parfois, il faut suspendre momentanément le coaching, le temps que la personne ou l’aidant accepte la situation et se rende compte de la nécessité du changement, et puis on recommence ». Pour plus d’efficacité, la vaste zone desservie par Alter Ergo a été divisée en quatre secteurs, chacune des quatre ergothérapeutes ayant sa spécialité. « Moi, je suis spécialisée en adaptation du geste à la personne, positionnement et tout ce qui est transfert et mobilité, ce qui me permet de donner des conseils à mes collègues. Par contre, pour tout ce qui est psychiatrie, par exemple quand nous sommes confrontées à une personne en grande dépression, c’est moi qui ai besoin d’un coup de pouce ! Et, une fois par mois, nous nous réunissons pour discuter des cas que nous rencontrons et nous entraider ».

25 heures
Grâce au bouche à oreille et au fait que « généralement, nous atteignons nos objectifs », les demandes se multiplient. « Il y a des personnes avec qui nous pourrions travailler en continu, mais nous sommes trop peu nombreuses pour pouvoir nous le permettre. En moyenne, nous devons nous contenter d’intervenir 25 heures par personne. Et 25 heures, c’est vite passé. Mais, l’essentiel est que des personnes qui se sont résignées à leur état, parfois depuis des années, se rendent compte qu’elles peuvent encore évoluer, réapprendre des choses ». Malheureusement, l’aide du Fonds Dr. Daniël De Coninck se termine fin 2022. « Comme nous n’avons pas pu utiliser tout le financement d’entrée de jeu, à cause du Covid, nous avons de quoi tenir jusqu’en juin 2023, mais après ? C’est l’incertitude »…

Quelque chose qui dure
Le problème de l’ergothérapie, selon Véronique Manguette, c’est que l’INAMI ne la rembourse que pour les personnes qui ont un parcours complet en revalidation et seulement dans certains centres et pour un nombre limité de séances. Il existe sans doute, dans le cadre des projets pilotes Protocole 3, des financements pour les personnes plus âgées en perte d’autonomie, mais rien pour les patients chroniques pris en charge par Alter Ergo. « Ce qui prouve que l’INAMI non plus ne comprend pas très bien l’ergothérapie… Pour continuer, les bénéficiaires devraient payer le tarif plein, soit 53 euros de l’heure, ce qui n’est pas finançable pour du coaching. C’est pour cette raison que nous devons en passer par des projets comme celui-ci, financé par le Fonds Dr. Daniël De Coninck. Pourtant, c’est un métier très riche, qui permet de répondre à toutes sortes de demandes différentes, chaque cas étant une histoire en soi. Mais, ne pas arriver à construire quelque chose qui dure, c’est frustrant » !

Grâce à notre formation, nous avons une vision holistique de la personne, que nous pouvons transmettre aux autres prestataires de soins, afin de pouvoir la coacher en interdisciplinarité

— Véronique Manguette, Ergothérapeute

Vision holistique
D’autant plus frustrant que Véronique Manguette et ses collègues sont convaincues qu’Alter Ergo mérite de durer. «  Grâce à notre formation, nous avons une vision holistique de la personne, que nous pouvons transmettre aux autres prestataires de soins, afin de pouvoir la coacher en interdisciplinarité. Alter Ergo est beaucoup plus abouti que le projet liégeois auquel j’ai participé, et je suis sûre qu’il pourrait être transféré ailleurs avec le même succès. Parce que nous pouvons vraiment rendre les gens plus autonomes, les aider à vivre comme ils le souhaitent et, plus important encore, leur redonner du plaisir dans leurs activités quotidiennes ».

* Pour en savoir plus : https://verviers.aideetsoinsadomicile.be/fr/services/sagadom-asd-verviers .

Contact : Véronique Manguette

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