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ASCOP: une autre vision du bien-être

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Dans l’aide et les soins à domicile, tout le monde veut la même chose : le bien-être des bénéficiaires. En oubliant parfois que ce bien-être dépend aussi du respect de leur personnalité et de leurs objectifs. C’est la force de la méthode ASCOP.

Madame Louise, 92 ans, vit seule dans une maison qu’elle entretient avec un soin presque obsessionnel, raconte l’ergothérapeute Véronique Manguette. Cette ancienne institutrice a toujours été rigoureuse et exigeante, mais aussi très indépendante. Depuis peu, cependant, elle montre des signes de démence paranoïde, ce qui rend ses relations avec sa nièce – sa plus proche parente – tendues et conflictuelles. Elle en est venue à penser que sa nièce et le mari de celle-ci complotent contre elle, qu’ils veulent l’envoyer dans une maison de repos, qu’ils convoitent son argent. D’autant que, pour éviter toute erreur, le mari en question gère désormais lui-même des comptes dont Madame Louise a toujours été fière de s’occuper en personne !

"L’équipe commence par engager le dialogue sur des sujets qui passionnent [...] Cette valorisation de son vécu et de ses compétences permet d’établir un climat de confiance. "

Question de confiance

Parce qu’elle a le sentiment de perdre le contrôle, Madame Louise réagit très mal à l’intrusion d’une ergothérapeute et d’une psychologue, alertées par sa nièce et accompagnées d’une aide familiale. « Face à cette femme méfiante, qui affirme n’avoir besoin d’aucune aide, les premières visites sont marquées par une observation respectueuse, sans tentative d’imposer des changements, précise Véronique Manguette. L’équipe commence par engager le dialogue sur des sujets qui passionnent Madame Louise : son passé d’institutrice, ses méthodes d’organisation et l’ordre impeccable qui règne chez elle. Cette valorisation de son vécu et de ses compétences permet d’établir un climat de confiance. »

 

Des réunions régulières

Progressivement, l’équipe introduit des outils simples, qui facilitent le quotidien de Madame Louise, tout en respectant son besoin de contrôle. « Par exemple un planning visuel pour ses rendez-vous médicaux, afin de réduire son stress lié à la gestion du temps ; une fiche pratique sur les médicaments, pour qu’elle puisse suivre elle-même son traitement tout en acceptant l’aide ponctuelle de l’infirmière ; une restructuration légère de son environnement, afin d’améliorer sa sécurité, notamment en évitant les chutes, sans bouleverser ses habitudes. De plus, l’équipe décide de se réunir régulièrement pour ajuster ses interventions au besoin d’autonomie et au rythme de Madame Louise, tout en l’aidant à gérer ses relations avec sa nièce. »

"ASCOP se distingue par une philosophie forte. Écouter les personnes, respecter leurs priorités et construire des solutions en collaboration. "

— Véronique Manguette, Ergothérapeute, ASD Verviers

Un cran plus loin

Au bout de quelques semaines, le calme est revenu, l’équilibre s’est rétabli. Madame Louise accepte mieux le soutien proposé, tout en conservant un sentiment de maîtrise sur sa vie. Sa nièce, rassurée par l’intervention des professionnels, qui ont pris le temps de lui expliquer les réactions de sa tante, retrouve une relation plus apaisée avec elle. Et tous les intervenants considèrent tant Madame Louise que ses proches comme des partenaires à part entière. « Autrement dit, on ne se contente pas de satisfaire les besoins primaires d’une personne et de calmer les inquiétudes de ses proches, on va un cran plus loin, on instaure une autre dynamique. »

 

Alter Ergo, suite mais pas fin

Pour l’ergothérapeute Véronique Manguette, qui coordonne le projet ASCOP – « Aide et Soins Centrés sur les Objectifs de vie de la Personne » – pour ASD Verviers, l’histoire de Madame Louise illustre parfaitement l’essence de cette démarche. « ASCOP se distingue par une philosophie forte, insiste-t-elle. Écouter les personnes, respecter leurs priorités et construire des solutions en collaboration. » Une philosophie qu’elle a déjà eu l’occasion de mettre en œuvre dans un projet antérieur, Alter Ergo, également financé par le Fonds Daniël De Coninck et visant à coacher les bénéficiaires, en collaboration avec leurs aidants proches, pour les aider à atteindre leurs objectifs. « L’ergothérapie est naturellement orientée ASCOP, souligne-t-elle, puisque le rôle premier de l’ergothérapeute, c’est de partir des activités qui ont du sens pour la personne, pour lui redonner, au quotidien, l’autonomie à laquelle elle aspire. Comme j’habite Verviers, j’ai été frapper à la porte d’Aide et soins à domicile (ASD) Verviers. Après de longues discussions, le directeur général, Marc Gérard, m’a donné le feu vert pour lancer le projet Alter Ergo. »

"Des mini-formations ont permis à tous de s’approprier les concepts ASCOP et de réfléchir à la manière dont leurs compétences pouvaient s’intégrer dans cette approche [...]"

— Véronique Manguette, Ergothérapeute, ASD Verviers

Coconstruction

Mais pourquoi s’en tenir à l’ergothérapie alors qu’il est possible de travailler en interdisciplinarité ? « Quand le nouvel appel à projets du Fonds De Coninck a été lancé, en 2023, j’ai expliqué à la direction d’ASD Verviers que c’était l’occasion de prolonger Alter Ergo en l’étendant aux autres professionnels de l’aide et des soins à domicile. Et, cette fois encore, le directeur général Marc Gérard (qui a pris sa retraite depuis lors) a retenu l’idée.» Le but d’ASD Verviers est d’implémenter une réelle culture d’entreprise ASCOP au sein de son organisation, la démarche ASCOP devenant, pour toutes les équipes, la référence méthodologique par excellence. « Mais l’implémenter et l’imposer, ce n’est pas la même chose, précise Véronique Manguette. Il n’était pas question d’arriver avec un projet tout fait que les prestataires devraient accepter tel quel : le projet ASCOP devait être une coconstruction. »

 

Langage commun

En réunissant des professionnels de différents horizons autour d’un objectif commun – offrir à chaque personne un accompagnement qui fait sens – le projet ASCOP a permis de poser les bases d’un langage commun, tout en valorisant les rôles et les spécificités des différents participants, afin de relever les défis ensemble. « Des mini-formations ont permis à tous de

s’approprier les concepts ASCOP et de réfléchir à la manière dont leurs compétences pouvaient s’intégrer dans cette approche, détaille Véronique Manguette. Nous avons aussi organisé des ateliers, qui nous ont aidés à mieux nous comprendre les uns les autres, tout en identifiant nos points de convergence. Et nous nous sommes rendu compte de la nécessité de communiquer plus efficacement, et donc de nous doter d’outils plus structurés. »

Cet outil est conçu pour aider les bénéficiaires à exprimer leurs priorités de vie [...] : "Qu’est-ce qui est important pour vous ? Que souhaitez-vous réaliser malgré vos difficultés actuelles ?"

D’abord communiquer

Dans une même équipe, en effet, les prestataires, malgré leur bonne volonté, travaillent souvent trop en parallèle. « La psychologue, par exemple, recueille des informations sur les aspirations de la personne, mais ce n’est pas pour ça que ces informations vont être transmises à l’ensemble de l’équipe ou que la personne va pouvoir se dire : ‘J’ai expliqué à ma psychologue ce qui est important pour moi, donc toute l’équipe va en tenir compte’. Aide familiale, garde à domicile, infirmière, ergothérapeute, psychologue, infirmier-case manager… tous les professionnels coopérant au même accompagnement doivent travailler de façon aussi horizontale que possible, afin de partir tous ensemble du projet de vie de la personne. C’est pourquoi la communication – avec le bénéficiaire, bien sûr, mais d’abord entre nous – doit être notre priorité ! »

 

Une bonne soupe

D’où la création d’une boîte à outils ASCOP, fruit d’une véritable collaboration, qui comporte avant tout un explorateur d’objectifs. « Cet outil est conçu pour aider les bénéficiaires à exprimer leurs priorités de vie, à travers des questions simples mais fortes : « Qu’est-ce qui est important pour vous ? Que souhaitez-vous réaliser malgré vos difficultés actuelles ? » « Prenons par exemple une dame qui vient de sortir de l’hôpital. Elle a entre 75 et 80 ans, elle est veuve et elle vit seule. Une aide familiale va s’occuper de sa lessive et de ses repas, une infirmière de ses soins de plaie ou de ses injections, une kiné de sa revalidation. Mais  est-ce que cette dame se sent bien ? A-t-elle une bonne qualité de vie ? Elle a été active toute sa vie, elle déteste rester dans un fauteuil et elle adore faire la cuisine. Si les membres de l’équipe négligent cette réalité, la bénéficiaire ne peut qu’être malheureuse. Résignée, peut-être, mais malheureuse quand même. C’est en cela que la démarche ASCOP est originale. Elle tient évidemment compte des difficultés momentanées de cette dame et de la nécessité de l’aider, mais en la prenant comme partenaire, en tenant compte de sa personnalité, de ses désirs, du plaisir qu’elle éprouve à faire une bonne soupe… »

"ASCOP n’est pas un simple projet : c’est une nouvelle manière de penser et d’agir, qui permet à chaque professionnel, chaque bénéficiaire et chaque membre de la famille de coconstruire un accompagnement qui fait sens."

Ambassadeurs ASCOP

Grâce à l’explorateur d’objectifs, auquel s’ajoutent des fiches pratiques pour structurer les tâches quotidiennes et des protocoles de coordination pour assurer la cohérence des interventions, tout professionnel peut maîtriser la démarche ASCOP, l’introduire chez les bénéficiaires, coordonner ses actions avec les autres intervenants et devenir ainsi un ambassadeur ASCOP.  « Les ambassadeurs ASCOP ne prétendent pas que leurs collègues font mal leur métier, mais seulement qu’il est possible d’adopter un autre fonctionnement pour le faire encore mieux, et avec encore plus de respect de la personne.  ASCOP n’est pas un simple projet : c’est une nouvelle manière de penser et d’agir, qui permet à chaque professionnel, chaque bénéficiaire et chaque membre de la famille de coconstruire un accompagnement qui fait sens. Quels que soient les désirs des bénéficiaires, il y a toujours quelque chose à faire. Avec les autres prestataires de soins et en interdisciplinarité. Pour que les gens qui nous font confiance, comme Madame Louise, puissent vivre autant que possible comme ils le souhaitent et retrouver du plaisir dans leur quotidien au lieu de le subir. La démarche ASCOP est plus qu’un défi logistique : une véritable aventure humaine.»

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