Contention au domicile : tous piégés ?
Relever des barrières de lit ou une tablette de fauteuil, placer des sangles ou une ceinture abdominale, verrouiller la porte… Même justifiés par un souci de sécurité, les gestes de contention sont souvent mal vécus par les professionnels du domicile. La psychologue Valentine Charlot a élaboré à leur intention un outil d’aide à la réflexion et à la décision, destiné à «détabouifier » la contention.
« Je travaille depuis longtemps avec des services d’aide à domicile, dans le cadre de formations et de supervisions, explique Valentine Charlot. Et je n’ai pas tardé à me rendre compte que les pratiques de contention comptent parmi les plus problématiques, en raison des dilemmes éthiques qu’elles génèrent. ‘Puisque j’ai fermé la porte à clé en partant, Madame est dans l’impossibilité de sortir. S’il se passe quoi que ce soit cette nuit, que fera-t-elle ? Et moi, comment vivrai-je avec ça ?’ »
Au secours !
Souvent, ce sont les proches qui sont demandeurs. « Pour des raisons de sécurité. Parce qu’ils ont peur de ce qui risquerait d’arriver à la personne si elle pouvait aller et venir chez elle en toute liberté et en sortir à volonté. Ils se disent donc que la solution la plus facile est la contention, qui est d’ailleurs également pratiquée en institution. Ce qu’ils oublient, c’est que, dans une MR/MRS, toute pratique de contention – le placement d’une tablette de fauteuil, par exemple – est assortie d’une obligation de venir voir la personne régulièrement pour s’assurer que tout va bien. Au domicile, la personne contentionnée reste souvent seule pendant des heures, voire une nuit entière. Des aides familiales m’ont raconté que parfois, avant même d’ouvrir la porte, elles entendaient la personne crier : ‘Au secours ! Laissez-moi sortir !’ »
Chat perdu
De plus, quand des mesures de contention sont mises en place au domicile, leur nécessité n’est pas toujours réexaminée régulièrement. « On me dit : on enferme madame la nuit, parce qu’il lui est arrivé de sortir de la maison aux petites heures, en robe de chambre et pantoufles… En fait, ça n’est arrivé qu’une fois, il y a deux ans, et elle cherchait son chat. Mais la contention est maintenue, sans que ni les proches ni l’équipe ne se demandent si le comportement de la personne le justifie – autrement dit, si le risque existe vraiment. » Or, la contention est avant tout une privation de cette liberté que la constitution garantit à tout citoyen. Ce n’est pas pour rien que, dans les MR/MRS, la loi impose des procédures écrites à respecter en cas d’application de mesures de contention – mesures qui ne peuvent être envisagées qu’à titre exceptionnel, sur indication médicale précise, et seulement si aucune autre mesure moins radicale ne permet d’atteindre le même objectif. Mais, au domicile, le contexte est beaucoup plus flou…
Danger, contention !
Sans doute certains bénéficiaires demandent-ils – ou en tout cas acceptent-ils – des mesures de contention, comme la pose de barrières de lit, parce qu’ils se sentent plus sécurisés, mais la plupart se les voient imposer contre leur volonté, en particulier lorsqu’il s’agit de personnes confuses, incapables d’argumenter avec les intervenants. « Mais la confusion n’empêche pas la souffrance, l’anxiété, la colère, rappelle Valentine Charlot. De plus, en termes de sécurité, le recours à la contention peut également comporter des risques. Dans certains cas, des personnes se sont étranglées, dans leur propre salon, en essayant de sortir de leur contention-fauteuil, ou ont fait une lourde chute en voulant franchir une barrière de lit. Les tentatives d’échapper à la contention ont souvent des conséquences plus graves que l’absence de contention. »
En faute
Par ailleurs, Valentine Charlot a constaté, au fil de ses supervisions, que ces mesures, pourtant anxiogènes et culpabilisantes, ne sont que rarement discutées sans tabous au sein des équipes. « On ne m’en parlait pas, ou seulement en dernier ressort. Et, quand j’ai essayé de comprendre pourquoi, j’ai découvert un hiatus entre la législation et la réalité : le silence de certains intervenants s’expliquait par leur crainte d’être pris en faute. » Le cadre législatif, en effet, est tout à fait clair : les mesures de contention sont des actes infirmiers, que les aides familiales/aux et les gardes-malades ne sont pas autorisés à appliquer, pas plus qu’ils ne peuvent aider une personne souffrant de troubles de la déglutition à prendre ses repas ou un bénéficiaire dépendant à porter ses médicaments à sa bouche.
Ubu pas mort
« Mais, dans la vie quotidienne, ça mène à des situations ubuesques, commente Valentine Charlot. Supposons qu’au moment du coucher, une bénéficiaire demande à aller aux toilettes. L’aide familiale abaisse une des barrières du lit pour l’aider à descendre, l’accompagne jusqu’aux toilettes, puis la ramène et la recouche, mais, selon la lettre de la loi, elle ne peut pas remonter la barrière, puisque c’est un acte de contention, réservé aux infirmiers ! » Certaines, craignant d’être sanctionnées en cas de contrôle, ne la remontent pas, mais ne peuvent s’empêcher d’être inquiètes. D’autres font preuve d’inventivité – invitant par exemple le petit-fils de la bénéficiaire, âgé de 12 ans, à replacer lui-même la barrière. Et d’autres enfin se mettent hors-la-loi.
Une question de valeurs
« J’ai déjà évoqué la situation avec des juristes, précise Valentine Charlot. Mais la seule réponse que j’obtiens d’eux, c’est : ‘La législation est claire’. Bien sûr qu’elle est claire. Mais les difficultés bien réelles rencontrées sur le terrain n’en sont pas résolues pour autant ! Prétendre le contraire est de l’hypocrisie ! » C’est pourquoi elle a décidé de mettre au point un outil du type arbre décisionnel, destiné aux intervenants du domicile. « Mon but est d’aider les équipes à détabouifier les pratiques de contention. Il y a un problème ? On en parle ! En se positionnant en tant qu’équipe, au lieu de laisser les intervenants se débrouiller seuls au domicile. Et en faisant d’abord un arrêt éthique, pour se poser la question des valeurs. Celles du bénéficiaire – que savons-nous de ses choix, de sa manière de vivre, de ses aspirations ? – celles de la famille et celles de l’équipe. Si le bénéficiaire n’est pas d’accord pour être contentionné, sommes-nous prêts à passer outre ? Ne pouvons-nous pas explorer d’autres pistes ? Et, tout en entendant l’inquiétude des familles, essayer d’y répondre d’une autre manière, plus respectueuse du désir de liberté de la personne ? »
Équilibre
Et si, au terme de cette réflexion, une décision de contention est prise ? « Dans ce cas, on la verbalise et on l’écrit, on précise qui fait quoi comment dans quel contexte, et on prévoit aussi un calendrier de révision, pour que la situation soit réexaminée régulièrement, plutôt que de s’en tenir à ‘On a toujours fait comme ça avec cette personne’. L’objectif premier de cet outil est de clarifier la situation et de mettre fin au non-dit et aux pratiques cachées. » Cet outil sera testé au quatrième trimestre avec une équipe volontaire de l’ADMR (Aide à Domicile en Milieu Rural) de Verviers, mais nombre d’autres équipes s’y intéressent déjà. « Il devrait leur permettre de prendre des décisions éclairées, même si elles sont parfois contraires à la loi. La contention est un thème essentiel, car il touche à l’autonomie, au problème de l’équilibre entre la liberté et la sécurité, omniprésent dans le vieillissement… »
Délégation
Valentine Charlot espère évidemment que, dans un second temps, l’utilisation de cet outil et les décisions qui en découleront feront bouger les lignes au niveau législation. « Les infirmiers habilités à poser ces actes pourraient les déléguer à des aides familiales – moyennant une procédure, bien entendu -, et recevoir d’elles, en retour, des informations utiles à la prise en charge de la personne concernée. Actuellement, la législation, si claire soit-elle, nie la réalité du terrain. Si cet outil peut aider les équipes à échapper à ce leurre, tout le monde y gagnera, à commencer par les bénéficiaires. »
© mangpor2004