Enfants trop sages ? Réagissons à temps!

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Ils détournent le regard, ne réagissent pas à l’appel de leur prénom, présentent souvent un retard de langage, ne jouent pas, communiquent peu… alors qu’ils ont déjà deux ans, voire trois. Si leurs difficultés de développement avaient été constatées plus tôt, ils auraient pu bénéficier d’une intervention précoce. Mais…

« … Mais, quand les parents s’inquiètent, parce que ‘quelque chose ne va pas mais on ne sait pas quoi’, les professionnels de terrain leur conseillent souvent d’attendre, leur assurant même que ‘ça va passer’, souligne Françoise Dodion, psychomotricienne, psychothérapeute et coordinatrice du Centre d’aide thérapeutique et psychomotrice Aire Libre (www.airelibreasbl.be), en région liégeoise. Parce qu’ils ont peur d’affoler inutilement les parents, ils ne commencent à prendre ces indices au sérieux que lorsque l’entrée en maternelle approche. Or, plus tôt on intervient, meilleures sont les chances de modifier la trajectoire mentale de ces enfants, pour ne pas les laisser s’installer dans des problématiques complexes, qui peuvent aller jusqu’aux troubles du spectre autistique… »

Mal-être
Des difficultés développementales débutantes peuvent en effet être repérées dès les premiers mois de l’enfant. « À trois ou quatre mois, des mouvements généraux désorganisés sont un signe d’alerte à ne pas négliger, insiste Françoise Dodion. Le premier langage de l’enfant, c’est son corps. L’ennui, c’est que la plupart des professionnels en rapport avec la petite enfance ne sont ni informés ni formés pour interpréter les troubles silencieux de ces enfants trop sages. » La position d’hyperextension, que les très jeunes enfants peuvent prendre quand ils sont soumis à un stress, en est un bon exemple : le bébé se cambre, s’arc-boute, rejette la tête en arrière. Les parents y voient souvent un signe de distanciation affective, alors que cette attitude trahit d’abord un mal-être corporel, qui peut être apaisé par des stimulations en enroulement, destinées à rassurer l’enfant tout en renforçant son axe corporel.

Et les psychomots ?
Beaucoup de bébés à risque de troubles neuro-développementaux connaissent d’ailleurs, sur le plan somatique, une première année pénible : pleurs fréquents, problèmes de reflux, difficultés d’endormissement… La psychomotricité, qui se focalise sur la manière dont le bébé habite son corps, est en principe l’outil idéal pour faire le lien entre capacités relationnelles et vécu corporel et agir préventivement en faveur du développement de l’enfant. « Mais, en Belgique, les psychomotriciens ne sont pas reconnus comme des paramédicaux, et leurs actes ne sont donc pas remboursés par l’INAMI, regrette Françoise Dodion. Résultat : ces enfants sont pris en charge par des kinésithérapeutes, très efficaces dans tout ce qui est stimulation physique, mais beaucoup moins familiarisés avec la prise en charge relationnelle, psychopathologique ou sensorielle de leurs jeunes patients. »

Interactions
En France, par contre, la prise en charge est possible dès l’âge de trois mois, notamment sur la base d’une grille d’observation mise au point par la psychanalyste Marie-Christine Laznik. « Les questions posées ont l’avantage d’être très simples, remarque Françoise Dodion. L’enfant est-il en interaction avec les autres, est-il dans une recherche de plaisir ludique, et surtout interpelle-t-il l’adulte, par tous les moyens dont il dispose, dont le sourire, plutôt que d’attendre que l’adulte vienne le chercher ? Les bébés qui vont bien interpellent spontanément l’adulte, tandis que les autres sont plutôt indifférents et amorphes et doivent être stimulés… En France, tout professionnel de première ligne qui travaille avec des tout-petits dispose d’un cahier d’observations pour les risques de troubles neuro-développementaux. Il le remplit avec les parents et, si la situation le justifie, il dirige l’enfant vers un psychomotricien, en vue d’une prise en charge remboursée par l’État. »

Les enfants qui pleurent
Dans cette optique, il faudrait, en Belgique aussi, des observations plus approfondies dès les premiers mois. D’où le projet* pour lequel Aire Libre a obtenu une bourse du Fonds de Coninck et qui est axé sur la mise en place d’un programme d’observation et d’évaluation à destination des familles. « Un travail avec les parents s’impose pour que l’interaction ne soit pas faussée dès le départ, explique Françoise Dodion. Un bébé qui souffre, qui est mal dans son corps, est forcément en retrait. Les pleurs sont sa seule façon de s’exprimer, et ses parents sont si fatigués, si stressés, que les problèmes relationnels sont inévitables.  Alors que s’ils s’en ouvraient à des professionnels, le pire pourrait être évité. Je ne prétends évidemment pas que tous les bébés qui pleurent constamment vont évoluer vers un trouble du spectre autistique – loin de là ! Mais je pense sérieusement à lancer une  campagne du genre ‘Votre enfant pleure sans cesse ? Parlez-en à un professionnel !’ Parce que ces pleurs révèlent un stress permanent qui ne peut qu’entraver l’évolution de l’enfant !  »

600 professionnels
Une approche psychomotrice basée sur le toucher thérapeutique, le portage, le jeu, éventuellement doublée, en cas de régurgitations et de reflux, par un traitement médicamenteux prescrit par un gastropédiatre, peut faire des merveilles. Mais travailler avec les parents ne sert pas à grand-chose si les professionnels ne sont pas ou pas assez au courant. « C’est pourquoi, après avoir poursuivi le projet d’observation des bébés jusqu’en mars 2021, je suis revenue à mon cheval de bataille, avec des questionnaires qui ont été transmis aux psychomotriciens, puis retravaillés pour être distribués à 600 professionnels : 100 généralistes, 100 spécialistes, 100 sages-femmes, 100 professionnels de l’ONE, 100 professionnels des crèches, 100 professionnels des maisons médicales. Avec des questions comme : Considérez-vous que le repérage des signes d’alerte fait partie de votre travail ? Quels outils d’observations utilisez-vous ? Si vous vous questionnez sur un bébé, à qui en parlez-vous ? En cas de difficultés constatées chez un bébé, vers qui le dirigez-vous pour avoir un avis complémentaire ? Ou pour assurer un suivi thérapeutique ou un accompagnement ? L’analyse de ces résultats sera réalisée par le Professeur Emmanuel Devouche du laboratoire de psychopathologie du bébé-Université Paris V. Et j’espère que leur diffusion contribuera à la sensibilisation des professionnels… »

Formations
Françoise Dodion souhaite également créer des formations, qui seront proposées en priorité aux 600 professionnels qui auront répondu à son questionnaire. « Parce que je ne veux pas susciter chez eux des interrogations sans leur proposer des réponses.  J’ai déjà entamé des mini-formations pour le personnel des crèches, afin de leur indiquer les points qui me paraissent importants à observer chez les enfants qui leur sont confiés. Je me rends compte que, pour certains professionnels, les troubles développementaux restent tabous. Ils craignent qu’en les abordant précocement, les conséquences pour l’enfant, les parents et l’équilibre familial soient difficiles à gérer. Mais, si on ne prend ces enfants en charge qu’après 24 ou 36 mois, pour certains, ça risque d’être trop tard. D’où l’importance d’un travail parents-bébé, et donc de la valorisation du métier de psychomotricien. »

* Un nouvel appel à projets dans le cadre de l’octroi de bourses pour professionnels de la première ligne vient d’être lancé. Pour en savoir plus, cliquez sur ce lien.

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