Être à la rue, ce n’est pas être libre

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Les personnes en situation de sans-abrisme n’ont pour la plupart ni la force, ni les moyens de s’évader de cette étrange prison sans murs ni barreaux. Depuis 15 ans, l’asbl Infirmiers de rue s’efforce de les y aider. Mais, elle a besoin d’alliés. Et ces alliés ont besoin d’outils.

Fondée en 2005 par Émilie Meessen, une infirmière sensibilisée à la problématique du sans-abrisme, Infirmiers de rue (www.infirmiersderue.be) peut aujourd’hui compter sur une équipe multidisciplinaire d’une quarantaine de personnes, réunissant infirmiers, travailleurs sociaux, éducateurs, administratifs et même un médecin. Leur groupe-cible, ce sont les personnes vulnérables, qui vivent dans la rue depuis plusieurs années et peuvent cumuler problèmes physiques et mentaux.

Première ligne
Ces ‘patients’, comme ils les appellent, ils les repèrent lors de leurs ‘maraudes’ quotidiennes, mais aussi grâce à d’autres intervenants de première ligne, qui établissent le contact avec des personnes sans-abris dans le cadre de leurs activités, pour en référer ensuite à Infirmiers de rue. « De même, souligne David Spitaels, responsable des formations chez Infirmiers de rue, pour assurer le suivi de nos patients après une rencontre, il est essentiel de pouvoir compter sur la coopération et le soutien du personnel des maisons médicales et des services d’urgence des hôpitaux, des gardiens de la paix, du personnel de la STIB ou des CPAS, etc ».

Expérience partagée
D’où l’idée de partager l’expérience de l’asbl avec ces collaborateurs incontournables. « Après plus de quinze années d’existence, Infirmiers de rue a acquis une expertise de terrain et un savoir-faire susceptibles de faciliter la tâche aux professionnels qui, malgré leurs connaissances techniques, peuvent parfois se sentir démunis dans l’abord de notre patientèle », précise David Spitaels. Le projet d’Infirmiers de rue s’articule donc autour de formations adaptées, axées sur le partage d’outils de travail et de prévention spécifiques. Et, même si la crise sanitaire en a retardé le déploiement, il a déjà permis de belles avancées, notamment sur un thème tabou par excellence : l’hygiène.

Corps – Vêtements – Comportements
« S’il est tabou, explique Sophie Michel, responsable des collectes de fonds chez Infirmiers de rue, c’est parce que, dans ce domaine, la frontière est extrêmement mince entre le contact positif, qui donne à la personne l’envie d’avancer, et celui où elle se sent jugée, voire rabaissée. Nous avons donc mis au point un outil appelé CVC (Corps-Vêtements-Comportements), qui est une échelle d’insertion permettant aux intervenants de première ligne d’évaluer, en toute discrétion, la vulnérabilité d’une personne sur base de son hygiène corporelle, de l’aspect de ses vêtements – sont-ils propres, adaptés à la saison et à ses conditions de vie ? – et de son comportement… ».

Machine à laver
Le suivi de la personne peut alors s’organiser selon le score ainsi obtenu. « En fonction de cette espèce de ‘photographie’ de la personne au moment de la rencontre, une vigilance plus ou moins grande s’impose, commente David Spitaels. Si on constate une dégradation progressive, il faut se demander pourquoi. Et ne pas hésiter à partager son ressenti avec la personne. ‘Je vois que vos vêtements sont sales, vous ne m’avez pas habitué à ça, ça fait des mois que tout se passe bien, est-ce qu’il y a un problème ?’ Et on va découvrir, par exemple, que la personne qui l’autorisait à utiliser sa machine à laver a déménagé et qu’elle ne sait plus à qui s’adresser ».

Auto-exclusion
Mais, tous les intervenants trouvent-ils le courage de poser avec une telle franchise des questions aussi gênantes ? « Pas d’entrée de jeu, reconnaît Sophie Michel. C’est la raison d’être de nos formations Hygiène et précarité, à l’occasion desquelles les intervenants qui le souhaitent peuvent découvrir les spécificités des personnes en grande précarité – notamment le syndrome d’auto-exclusion, qui pousse une personne à se couper du monde mais aussi d’elle-même pour survivre dans un environnement excluant – se faire expliquer nos outils et la manière de les utiliser, et travailler des situations apportées par eux à travers des jeux de rôles ». L’objectif étant d’aller « à l’essentiel, tout en douceur ».

Eau potable
En outre, la prévention étant capitale dans la rue, autant sinon plus qu’ailleurs, l’asbl a produit un ‘Plan des fontaines d’eau potable et toilettes gratuites de Bruxelles’, qui est téléchargeable sur son site, distribué en version papier aux intervenants de première ligne et aux personnes en situation de sans-abrisme, mais surtout, grâce à la coopération de la STIB, affiché à grande échelle dans les stations de métro. « Pour une personne sans-abri, même l’accès à l’eau potable n’est pas toujours évident, insiste Sophie Michel. Ce plan, qui a été élaboré, comme tous nos outils, sur la base des besoins réels de notre public, répercutés par le personnel de terrain, répertorie tous les points d’eau, toilettes publiques et sanitaires gratuits à Bruxelles. Nous l’avons aussi transmis aux autorités communales, en même temps que nos constatations dans ce domaine, dans l’espoir de sensibiliser les communes où toilettes et points d’eau font gravement défaut ».

Une canette, c’est une canette
Toujours dans le but de favoriser les contacts entre intervenants et ‘patients’, l’asbl propose d’autres outils, aussi simples d’utilisation qu’efficaces dans la transmission de l’information. « Par exemple, Ganymède, détaille David Spitaels, qui est un outil très visuel, conçu pour que les professionnels puissent mieux évaluer la consommation d’alcool des personnes dont ils s’occupent. Ces personnes n’ont pas toutes des problèmes d’assuétude. Mais, pour elles, une canette, c’est une canette : elles ne se rendent pas compte que la dose d’alcool peut être très différente. Grâce à Ganymède, il est possible de le leur expliquer en images, en même temps que les bons réflexes à adopter pour une consommation raisonnable. Et, là encore, sans jugement, bien entendu ».

En logement
Enfin, pour les personnes qui ont fait ‘le deuil de la rue’ et franchi le pas, si espéré mais parfois si difficile, de la réinstallation en logement, l’outil Hestia a été conçu pour prévenir les risques d’expulsion et de décès. « Il permet de procéder, à chaque rencontre avec le patient, à une réévaluation en fonction de critères comme les rapports avec le bailleur, les relations de bon ou de mauvais voisinage, la sécurité et la salubrité du logement, etc, explique Sophie Michel. Afin d’anticiper une dégradation de la situation et de réagir avant qu’il ne soit trop tard ».

Rencontre
Pour compléter son offre, Infirmiers de rue se lance à présent dans une série de formations digitales, que les professionnels pourront consulter à leur rythme, et qui seront mises en pratique à travers des jeux de rôles, chaque participant pouvant amener des situations qui l’interpellent et dont la résolution permettra à tous de progresser. « Le challenge étant de digitaliser tout en restant dans l’humain et la sensibilité individuelle, remarque David Spitaels. Parce que notre rôle, c’est d’aller à la rencontre des personnes qui vivent dans la rue. De leur parler, de prendre du temps pour et avec elles. Et la raison d’être de nos outils, sous quelque forme qu’ils se présentent, est de faciliter cette rencontre. Il est donc essentiel que les professionnels de terrain y retrouvent leurs interrogations et leurs difficultés concrètes ».

Personne de contact : Sophie Michel
Site web : www.infirmiersderue.be

Si vous souhaitez découvir les formations d’IDR : www.infirmiersderue.be/fr/notre-offre-de-formations.
Adresse mail: [email protected]

© Dominique Simon

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