‘Goal oriented care’ : un jeu de cartes pour exprimer ses préoccupations
Gaétane Thirion a été l’une des intervenantes lors de l’Académie d’Été du Fonds Docteur Daniël De Coninck, en septembre 2019. Elle y a présenté un outil innovant qui s’inscrit parfaitement dans le thème de cette journée : les soins centrés sur la qualité de vie du patient.
Gaétane Thirion est la coordinatrice du projet pilote Boost, à Bruxelles. Il s’agit de l’un des douze projets (six en Flandre, cinq en Wallonie et un à Bruxelles) soutenus dans le cadre du Plan fédéral visant à améliorer l’accompagnement des malades chroniques dans une logique de soins intégrés. “Ces projets poursuivent un quadruple objectif”, précise-t-elle : “travailler au niveau individuel sur la qualité des soins perçue par le patient ; améliorer la santé de la population et mener des actions de prévention à l’échelle d’un territoire ; favoriser le bien-être et le cadre de travail des professionnels de la santé actifs sur ce territoire ; et augmenter l’efficience des moyens utilisés”.
À Bruxelles, le projet Boost se déploie sur le territoire des communes de Saint-Gilles, de Saint-Josse et des quartiers du Pentagone de Bruxelles-Ville. Gaétane Thirion : “Il réunit un vaste consortium d’une cinquantaine de partenaires, tous secteurs confondus. Ceci répond tout à fait au concept de soins intégrés : il s’agit en effet de décloisonner le social et le médical, de coordonner les interventions des divers acteurs et de favoriser la continuité des soins. Il est clair que nous avons besoin d’un nouveau modèle, centré sur le bien-être du patient et non sur l’approche médicale en tant que telle afin que le patient puisse bénéficier d’un parcours de soins aussi cohérent et continu que possible”.
Référents de proximité
Dans ce cadre-là, le projet Boost a notamment développé la fonction de ‘référent de proximité’. “Nous sommes partis de constats faits par de très nombreux acteurs de terrain”, explique Gaétane Thirion. “Les professionnels de la santé de la première ligne nous disent que, dans leurs relations avec les patients, ils sont régulièrement amenés à sortir de leur rôle strictement médical pour accomplir des tâches qui permettent de résoudre un problème social individuel ou de débloquer une situation. La fonction de référent de proximité est un moyen de rendre ces tâches visibles et de les valoriser.”
Un outil a été mis au point pour aider ces référents de proximité à nouer le dialogue avec l’usager : un jeu de cartes grâce auxquelles le patient peut exprimer une série de choses qui posent problème – ou qui vont bien – dans sa vie. “Étant donné que nous travaillons avec un public fragilisé et en partie d’origine étrangère, qui ne maîtrise pas toujours très bien le français écrit, ce sont des cartes sans textes, avec des images qui couvrent toute une série de champs et qui peuvent être interprétées de différentes manières. Le patient peut les commenter ou choisir celles qui lui parlent le plus. En fait, il s’agit d’un outil très ouvert, qui était jusqu’ici en phase de test : chaque professionnel de la santé peut l’utiliser selon sa pratique ou la situation concrète dans laquelle il se trouve”.
Une posture d’écoute
L’idée de base est que le patient peut avoir en tête des préoccupations non médicales qu’il n’exprime pas dans une relation classique avec le soignant, mais qui le perturbent, qui mobilisent son attention et qui influencent ainsi négativement la qualité des soins. Les cartes sont pour lui un moyen d’évoquer ces aspects méconnus de sa vie personnelle. Le référent de proximité, lui, est amené à faire un pas de côté et à adopter une posture d’écoute, en étant attentif à des questions qui touchent plus à la qualité de vie du patient qu’à la santé au sens strict. Il peut alors orienter l’usager vers des ressources et des services d’aide – le projet Boost a aussi mis au point un répertoire spécialisé de partenaires locaux – afin de trouver une solution à ces problèmes. “On peut citer le cas d’un migrant qui souffrait d’un problème cardiologique et qui avait du mal à respecter son traitement, qu’il ne comprenait pas bien”, raconte Gaétane Thirion. “Mais en fait, sa grande priorité était de se rapprocher de son ex-femme et de ses enfants, qu’il ne pouvait pas accueillir chez lui. En l’accompagnant vers une autre solution de logement, on a pu l’apaiser sur ce plan-là, ce qui lui a permis d’accorder une plus grande attention à sa santé et de mieux adhérer au traitement. Une autre de ses demandes était de pouvoir suivre des cours de langue afin de mieux comprendre sa maladie et sa thérapie. Là aussi, on a pu lui suggérer des possibilités”.
Tout cela est très proche du concept de ‘goal oriented care’, qui considère aussi que des soins efficaces doivent être centrés sur les objectifs de vie du patient. Il est donc logique que Gaétane Thirion ait été invitée à présenter cette pratique lors de l’Académie d’Été du Fonds Daniël De Coninck. “Nous ne connaissions pas ce concept, car nous avons développé notre outil de manière assez intuitive”, dit-elle. “Mais cela a été très intéressant de pouvoir le raccrocher à un cadre plus théorique et de rencontrer d’autres initiatives qui travaillent dans le même esprit. C’était vraiment du win-win : nous avons apporté un outil pratique et, en échange, nous avons découvert un cadre conceptuel qui a en quelque sorte permis d’enraciner et de légitimer notre démarche”.