La solitude, ça ne devrait pas exister…

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En Brabant wallon, depuis 2013, des volontaires de la Mutualité Chrétienne rendent visite aux personnes en manque de contact. Une activité dont la banalité apparente dissimule l’importance réelle. Pour les visités, mais aussi pour les visiteurs.

« L’idée est venue d’une volontaire du comité local Braine-l’Alleud-Waterloo, Lucie Lacasse, qui avait travaillé comme infirmière pour la Croix Jaune et Blanche, dans le cadre des aides et soins à domicile. Elle s’était rendu compte que, de plus en plus, les infirmières devaient se contenter d’effectuer leurs prestations techniques et de repartir : leur timing était si serré qu’elles ne pouvaient plus s’asseoir, prendre un café, consacrer quelques instants à écouter la personne, dont elles sentaient pourtant qu’elle avait besoin de parler. Quand on a la vocation de prendre soin des autres, c’est un crève-cœur de dire ‘Je n’ai pas le temps’ et de tirer la porte derrière soi. Aussitôt pensionnée, Lucie Lacasse a donc proposé à son comité un projet visant à apporter aux personnes isolées une présence et un accompagnement que les professionnels de l’aide à domicile ne pouvaient pas leur assurer. »

La preuve par 60
Pour définir ce projet de ‘visites solidaires’, Caroline Elias, coordinatrice du volontariat à la MC Brabant wallon, utilise le terme de ‘coconstruction’. « La Mutualité Chrétienne a fourni aux porteurs du projet les ressources nécessaires – une permanence téléphonique, un ordinateur, une salle de réunion… – mais tout est parti des volontaires eux-mêmes. Ils sont désormais organisés en quatre services, couvrant respectivement les territoires de Braine-l’Alleud, Nivelles, Court-Saint-Étienne et Tubize,  et c’est grâce à eux que les visites s’étendent à l’ensemble du Brabant wallon. »  Sans doute parce qu’il combine efficacité et simplicité, en effet, ce projet réunit une bonne soixantaine de volontaires, qui totalisent quelque 1500 visites par an, sans compter les appels téléphoniques.

Service essentiel
« Pendant le premier confinement, précise Caroline Elias, nous avons bien entendu interrompu les visites, mais les volontaires ont pris des nouvelles par téléphone, envoyé des messages et multiplié les petites attentions pour montrer à leurs bénéficiaires qu’ils pensaient à eux. Et, dès que nous avons pu reprendre, nous l’avons fait : nous sommes apparentés à des services jugés essentiels par le gouvernement – il faut peser le risque corona et le danger de mourir de solitude chez soi – et nous avons donc continué, en prenant les mêmes précautions que les services d’aide à domicile. Nous avions évidemment craint que la crise sanitaire n’entraîne un repli sur soi. Or, non seulement nos volontaires n’ont pas déclaré forfait, mais de nouveaux candidats se sont mobilisés, notamment des jeunes, qui veulent se rendre utiles en cette période où la détresse est plus grande que jamais.»

Complémentarité
Les demandes de visites viennent généralement de la personne isolée elle-même – « Elle contacte notre permanence téléphonique ou laisse un message, souvent poignant,  sur notre répondeur » – mais parfois aussi d’une infirmière ou d’une aide familiale, qui a évoqué le service ‘Visites solidaires’ lors de son passage au domicile. Les volontaires bénéficient d’une formation de base, « axée notamment sur la connaissance des métiers du domicile, parce qu’ils doivent savoir qu’ils ne sont pas abandonnés à eux-mêmes et qu’il ne leur appartient pas de tout assumer ni de tout résoudre : certains problèmes doivent être relayés aux professionnels, avec lesquels nous collaborons étroitement. En fait, volontaires et professionnels sont complémentaires. »

Carnet de liaison
La preuve en est que le carnet de liaison, laissé chez la personne en perte d’autonomie afin que chaque intervenant puisse y noter ses remarques, ce qui facilite la coordination entre les différents services, est également accessible aux volontaires. « Il peut y inscrire ses observations, explique Caroline Elias. S’il apprend par exemple que la dame qu’il visite vient de perdre son petit chien et qu’elle en est fort affectée, il le note pour l’infirmière, qui peut ainsi comprendre pourquoi la personne est déprimée et qu’il n’est donc pas nécessaire de lui administrer un médicament spécifique : quelques instants de dialogue feront beaucoup mieux l’affaire. Le carnet de liaison permet d’échanger des informations capitales sur la vie de la personne et, pour le volontaire, c’est très valorisant. Il arrive d’ailleurs, lorsqu’un cas particulier pose problème, qu’il soit invité à une réunion d’équipe des aides et soins à domicile, avec le service social, l’infirmière, etc. Cette collaboration volontaires-professionnels est précieuse pour le bien-être des bénéficiaires ! »

©Mutualité chrétienne du Brabant wallon

Jusque-là mais pas plus loin
Les volontaires des visites solidaires se réunissent toutes les six semaines – en présentiel hors corona, par Teams actuellement – afin de partager leurs expériences et d’essayer de trouver des solutions quand la situation devient délicate. « Récemment, une volontaire qui visite une maman et son fils handicapé nous a appris que le fils, frustré d’être privé de centre de jour par la crise sanitaire, avait des poussées d’agressivité. L’équipe a compris le désir de la volontaire de ne pas laisser tomber la maman, mais elle lui a suggéré de se limiter, pour aller la voir, aux moments où son fils participerait à une activité à l’extérieur. Et les difficultés de ce garçon ont été relayées aux professionnels… » Les volontaires, formés à l’écoute active, empathique et sans jugement, apprennent également à (se) mettre des limites. « Une de nos volontaires, par exemple, en était arrivée à se rendre chaque matin chez son bénéficiaire pour lui beurrer ses tartines, parce qu’il avait faim à 7 heures du matin alors que son aide à domicile ne venait qu’à 9 ! Nous avons recours à des jeux de rôles pour aider nos volontaires à décider ‘jusque-là mais pas plus loin’. C’est très dur, mais, s’ils ne le font pas, ils risquent de se perdre ! »

En équipe
Les intervisions régulières font également apparaître des besoins de formation – au deuil, à l’accompagnement des personnes désorientées, ou encore à l’estime de soi. « Les fonds que nous recevons du Fonds Dr. Daniël De Coninck servent principalement à dispenser à nos volontaires des formations de qualité. Car, pour le reste, c’est un volontariat de proximité, qui n’exige pas de déplacements coûteux : tout se déroule dans le quartier. » En interrogeant les volontaires sur leurs motivations, Caroline Elias s’est rendu compte que le désir d’aider allait de pair avec le plaisir du travail en équipe : « Visiter une personne âgée près de chez eux, ils auraient pu le faire sans nous. Mais ils apprécient de se retrouver entre eux, de pouvoir partager, d’aller ensemble en formation. Et aussi, lors de l’assemblée annuelle, de se sentir appartenir à quelque chose de plus grand… »

L’un et l’autre
Pour Caroline Elias, il ne fait aucun doute que ce projet est appelé à continuer. « Avant tout parce qu’il est très simple. Nous mettons en contact une personne qui a envie d’une visite avec une autre personne qui a également envie d’une visite, mais qui est plus mobile que l’autre. C’est pourquoi, quand la Fondation me demande qui profite de ce projet, je réponds : « Le visiteur autant que le visité ». Parce que, dans une certaine mesure, l’un et l’autre sont en manque de quelque chose, et que la force de ce projet est de répondre aux besoins des deux ».

©Rawipixel.com

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