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Les coups d’Eqla des ergos

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Les personnes avec une déficience visuelle n’ont pas seulement besoin d’un accompagnement social. L’aide d’un.e ergothérapeute peut leur être précieuse pour préserver ou restaurer leur autonomie. Eqla s’efforce d’évoluer en même temps que leurs demandes.

Eqla*, avec trois accents sur le e représentant les cils d’un œil, c’est le nouveau nom pris en 2019 par l’Œuvre Nationale des Aveugles, aujourd’hui centenaire. Un nom inspiré des mots ‘éclat’, ‘équilibre’ et ‘équité’, qui stimulent l’asbl dans son travail de proximité avec les personnes avec une déficience visuelle et leur entourage. “Longtemps”, explique Murielle Konen, directrice Accompagnement social Wallonie, “nos bénéficiaires n’ont été aidés que par des assistantes sociales, chargées d’une mission administrative et de soutien à la personne. Mais, ces dernières années, leurs besoins se sont modifiés : ils veulent être conseillés dans le choix et l’utilisation d’un matériel adapté et aiguillés vers des aides techniques. D’où l’idée d’intégrer dans notre équipe des ergothérapeutes formés à la déficience visuelle. À Bruxelles d’abord, puis en Wallonie ».

Deux, c’est mieux
En Wallonie, toutefois, la situation s’est vite révélée ingérable. “ Comme les demandes affluaient de partout”, précise Murielle Konen, “l’ergothérapeute que nous avions engagée passait plus de temps sur la route que chez les bénéficiaires. C’est pourquoi nous avons répondu à l’appel à projet du Fonds Dr Daniel De Coninck, qui nous a permis de dégager des moyens pour diviser la Wallonie en deux zones. Une nouvelle ergothérapeute, Manon Wilkin, pouvant ainsi couvrir la province de Namur et le Luxembourg. Pour que tous les bénéficiaires de Wallonie aient accès à une ergothérapeute, nous devrions travailler sur cinq zones et non sur deux. Mais, pour l’instant, cet idéal est financièrement inaccessible” ! Malgré ces difficultés,  le projet wallon d’Eqla a été soigneusement réfléchi. “En discutant avec Lydie Bossaert, l’ergothérapeute de Bruxelles, qui avait déjà une expérience pratique de plusieurs années, il nous a paru indispensable de nous rattacher à une méthodologie. C’est elle qui nous a parlé de la mesure canadienne de rendement occupationnel, axée sur les besoins et la satisfaction de la personne”.

En binôme
Dans ce cadre, le mieux serait de travailler en binôme, chaque cas étant abordé conjointement par un.e ergothérapeute et un.e assistant.e social.e. Mais, là encore, c’est financièrement impossible. “Ceci ne nous empêche évidemment pas de nous concerter”, souligne Manon Wilkin. “Très souvent, ce sont mes collègues assistantes sociales qui nouent le contact, parce que ce sont elles qui reçoivent les appels. Si elles se rendent compte que l’intervention d’une ergothérapeute pourrait être utile, voire nécessaire, elles me passent le message. Mais, encore une fois, c’est la satisfaction des bénéficiaires qui compte. Certains tiennent à préserver leur autonomie jusque dans les moindres détails de leur vie quotidienne, alors que d’autres ne voient pas d’inconvénient à accepter l’aide de leurs proches… L’idée est d’aller sur place, d’évaluer les difficultés, d’en parler avec les bénéficiaires, leur entourage et leurs aidants professionnels, et de suggérer les solutions les mieux adaptées à leurs besoins et à leur projet de vie ”.

Vie quotidienne
Chez Eqla, tant les ergothérapeutes que les accompagnants sociaux proposent toujours de se rendre au domicile des bénéficiaires. “D’abord parce que se déplacer reste un problème pour beaucoup d’entre eux”, commente Murielle Konen. “Dans un pays parfait, ils pourraient profiter de formules de transport gratuites, ou en tout cas très bon marché. Mais, nous ne sommes pas dans un pays parfait”. De plus, comment une ergothérapeute pourrait-elle proposer des améliorations pratiques à une personne avec une déficience visuelle sans s’être d’abord immergée dans sa vie de tous les jours ? “Nous sommes souvent interpellées par des personnes qui ont encore un résidu visuel, mais qui ne parviennent plus à lire – pas forcément des romans, mais aussi leurs factures ou l’étiquette d’une boîte de conserve. Souvent, c’est l’éclairage qui est en cause. Mais, pour le modifier judicieusement, il faut être sur place” !

Certaines personnes avec une déficience visuelle ont du mal à accepter que des inconnus s’introduisent chez elles. Il faut parfois du temps pour que le lien se crée

— Murielle Konen, Directrice Accompagnement social Wallonie

Une question de confiance
Le travail de l’ergothérapeute avec une personne avec une déficience visuelle est aussi particulier que le handicap auquel elle est confrontée. “Un handicap qui n’est pas abordé dans nos études, mais pas de façon assez approfondie pour que nous puissions nous spécialiser d’entrée de jeu”, reconnaît Manon Wilkin. “J’ai passé des semaines à me documenter sur les pathologies visuelles, le matériel nécessaire, les aides techniques à mettre en place… Et le reste, je l’ai appris sur le tas, parce que les véritables experts, à cet égard, ce sont nos bénéficiaires” ! Des bénéficiaires qui n’accordent pas toujours leur confiance d’entrée de jeu. “Le sens visuel a un impact sur la manière dont les relations sociales s’établissent”, commente Murielle Konen. “Certaines personnes avec une déficience visuelle ont du mal à accepter que des inconnus s’introduisent chez elles. Il faut parfois du temps pour que le lien se crée”.

Commande vocale
En cas de déficience visuelle, l’autonomie peut être considérablement accrue par le recours aux nouvelles technologies. Un iPhone ou un iPad à commande vocale intégrée, par exemple, peuvent permettre à une personne de gérer ses comptes et son agenda, de passer une commande, etc. Malheureusement, ces appareils ne sont pas à la portée de tout le monde, même si l’AViQ en rembourse désormais une partie. “Les fours à micro-ondes parlants sont également très utiles”, remarque Manon Wilkin. “Mais, là encore, il faut pouvoir s’en offrir un. C’est pourquoi, avant d’aller vers l’achat, je me demande toujours s’il n’est pas possible d’adapter certains des outils dont dispose déjà la personne – un micro-ondes banal, par exemple – pour lui faciliter la vie sans l’entraîner dans des dépenses excessives. Ainsi, grâce à l’utilisation de reliefs – obtenus au moyen de pâtes à marquer – et de sons, la personne peut toujours savoir sur quel programme son four est réglé”.

De A à B
Si elle consacre parfois plusieurs visites à familiariser une personne avec une déficience visuelle avec les fonctionnalités d’un smartphone dernier cri, Manon Wilkin peut aussi se retrouver dans la rue, à retracer le trajet vers la nouvelle boulangerie du quartier. “En principe, toute personne déficiente visuelle suit des cours de locomotion avec un instructeur spécialisé et sait donc se déplacer dans un environnement en utilisant sa canne de locomotion”, explique-t-elle.“Mais, pour qu’elle puisse aller d’un point A à un point B (de son domicile à la nouvelle boulangerie, par exemple), il faut qu’une personne voyante lui indique l’itinéraire. C’est pourquoi il m’arrive d’accompagner un bénéficiaire dans un nouveau trajet, pour lui en désigner les obstacles et les dangers. Et, quand il a un chien guide, nous suivons une procédure en trois étapes : je fais d’abord le trajet avec la personne au bras, en attirant son attention sur les obstacles tandis qu’elle les repère avec sa canne ; ensuite, je fais le chien, et elle teste sur moi les consignes destinées à son compagnon à quatre pattes et, en finale, nous reprenons une troisième fois le parcours… avec le chien. La façon dont une personne avec une déficience visuelle fonctionne avec son chien et la manière dont celui-ci guide son maître ou sa maîtresse ont d’ailleurs été pour moi une découverte impressionnante” !

Pour et avec
L’aide du Fonds De Coninck se termine fin 2022. Mais, Manon est assurée de garder son emploi, le conseil d’administration d’Eqla ayant accepté de l’engager sur fonds propres. La jeune femme, qui préfère parler de projet de vie que d’objectifs, “car l’important, c’est que nos bénéficiaires s’épanouissent grâce aux nouveautés qu’ils apprennent” et prône une étroite collaboration avec les autres aidants professionnels. “L’aide familiale, notamment. Une de mes bénéficiaires, qui présente des troubles cognitifs, conserve néanmoins le goût de faire la cuisine et elle a même participé chez Eqla à un atelier culinaire. Je vais donc prendre contact avec son aide familiale pour qu’elle n’hésite pas à l’associer à la préparation des repas. Ça lui permettra de maintenir sa mémoire procédurale, mais aussi de se sentir valorisée, et bien sûr de prendre du plaisir” ! » Manon et ses collègues espèrent donc pérenniser leur initiative et arriver peut-être un jour au nombre idéal de cinq binômes dans une Wallonie plus accessible. “Parce que”, conclut Murielle Konen, “l’expérience nous prouve que nos actions pour et avec nos bénéficiaires ne sont jamais du temps perdu”.

*Pour en savoir plus : https://eqla.be.

Personne de contact : Murielle Konen

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