Mon enfant d’abord

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Quand un enfant est atteint d’un handicap ou d’une maladie chronique, ses parents ne se contentent pas de l’entourer: ils en viennent à s’oublier eux-mêmes, au point de négliger leur santé physique et psychique. À l’UCL, Anne-Catherine Dubois et Maëlle Boland organisent pour eux des ateliers de soutien.

Anne-Catherine Dubois, aujourd’hui doctorante en santé publique, est infirmière pédiatrique de formation, et Maëlle Boland psychologue et chercheuse. Elles se sont rencontrées dans une maison de répit bruxelloise, la Villa Indigo, où elles ont découvert que beaucoup de parents, submergés par la culpabilité au moindre lâcher-prise, ont du mal à se faire aider. « Lorsqu’ils se décident enfin à formuler une demande de répit, c’est parce qu’ils sont tellement épuisés qu’ils n’ont plus d’autre choix », remarque Maëlle Boland. « Et ils n’en sont pas moins minés par un sentiment d’échec : même pour un court séjour, ils ont l’impression d’abandonner leur enfant».

S’occuper de son enfant, c’est normal
« Nous les réconfortions de notre mieux, mais nous nous sommes vite rendu compte que le gros du travail devait se faire en amont», précise Anne-Catherine Dubois. « Qu’il fallait rejoindre les parents là où ils étaient, pour leur faciliter la vie quotidienne avant qu’ils ne craquent. C’est pourquoi nous avons décidé de lancer ce projet dans le cadre de la recherche et de l’université ». Une étude approfondie de la littérature leur a prouvé qu’à l’échelle mondiale, la prise en charge de la maladie est axée sur la personne malade, qu’il s’agisse d’un enfant ou d’un adulte, et que son ou ses aidants proches ne suscitent que très peu d’attention. « Et c’est encore pire pour les parents, parce que tout le monde, à commencer par eux, estime que s’occuper de son enfant, c’est plus que normal : c’est un devoir. Mais, quand la maladie est là, on entre dans une autre dimension d’intensité et de solitude ».

Double identité
Le témoignage d’un papa les a fait réfléchir. « Si j’avais su, il y a sept ans, quand mon enfant est né, que je n’étais pas juste un papa, avec mon affection pour lui et mon rôle d’éducateur et de garant de son développement, mais que j’étais aussi un aidant proche, dont les batteries se déchargeaient peu à peu à force d’inquiétude et de manque de sommeil, je n’aurais pas attendu si longtemps pour demander du répit ». C’est en pensant à cette double identité de parent et d’aidant que l’idée des ateliers leur est venue. « D’abord parce qu’elle faisait appel au groupe, et que, pour sortir de la solitude, l’idéal est d’échanger avec des parents qui vivent une épreuve similaire », souligne Maëlle Boland. « Mais aussi parce qu’il n’est pas possible de réconcilier parent et aidant sans réfléchir d’abord à ce que c’est qu’être parent ».

Le parent au centre
Après avoir créé un comité de pilotage, réunissant parents et professionnels, « pour faire émerger ce que nous allions donner comme contenu à ces ateliers », les deux chercheuses ont entrepris de recruter des parents intéressés. Avec l’aide des infirmières coordinatrices, des spécialistes et des psychologues des Cliniques Universitaires Saint-Luc, où leur projet est ancré, mais aussi en passant par des écoles, des centres de jour, des services d’accompagnement, des soins palliatifs à domicile, etc. « Durant le confinement, nous avons également créé une plateforme web appelée Répit solidaire, ainsi qu’un groupe Facebook homonyme (voir en bas), qui nous ont permis de relayer l’information auprès du plus grand nombre », rappelle Anne-Catherine Dubois. « Notre objectif était de constituer un groupe hétérogène, ouvert à tous les types de diagnostic et à tous les âges pédiatriques, afin de pouvoir nous centrer sur le parent qui vit les choses à sa manière, quels que soient la maladie ou le handicap auxquels il est confronté ».

Burnout
Le recrutement a eu un tel succès qu’elles ont pu d’emblée dédoubler le groupe, et même en organiser un troisième par la suite. « Nous avons bénéficié d’une large participation de la part des papas, ce qui a représenté une belle victoire pour nous”, constate Maëlle Boland. “D’habitude, ce sont surtout les mamans qui sont attirées par les groupes de soutien. À cause de la pandémie, nous avons dû organiser les ateliers en distanciel, et non en présentiel comme nous l’avions prévu, mais c’était finalement très confortable pour les parents participants, qui ont pu rester chez eux, à proximité de leur enfant, tout en se connectant aux autres parents ». Le premier atelier a suscité une réflexion collective sur la parentalité au sens large et l’expérience vécue par les parents au quotidien. Le deuxième s’est centré sur une question : ‘En tant que parent, comment articuler ma capacité de contrôler certaines choses avec mon aptitude à ressentir les choses comme elles sont ?’. Et le troisième a été consacré à l’épuisement parental et aux activités personnelles qui ont le pouvoir de nous ressourcer : ‘Quelles sont les activités qui me nourrissent, actuellement ou à d’autres moments de ma vie ? Dans quelle activité spécifique aurais-je envie de me lancer en ce moment ? Quel objet concret pourrait m’y faire penser, m’inviter à intégrer cette activité dans mon quotidien ?’

Aller de l’avant
L’évaluation de ces trois ateliers ne laisse aucune place au doute : ils correspondent à une véritable nécessité. Parce qu’ils permettent aux parents de parler sans tabou à d’autres parents, mais aussi parce qu’ils sont encadrés par des professionnels. « Dès la fin du premier atelier, malgré la contrainte du virtuel, les parents ont été en phase les uns avec les autres, explique Anne-Catherine Dubois. Ils se tutoyaient, se lançaient de petits défis, échangeaient des astuces… Mais, contrairement à ce qui se passe dans les groupes de parole, nous avons choisi d’ajouter aux échanges des outils d’éducation thérapeutique élaborés par des professionnels. Parce que les parents ne recherchent pas seulement un endroit où déposer leur vécu : ils doivent pouvoir travailler leur équilibre personnel et familial, avec leur enfant malade et leurs autres enfants, en mobilisant leurs ressources personnelles, mais aussi des ressources extérieures parfois toutes simples et des solutions de répit, pour pouvoir aller de l’avant ».

Appartenance
Les parents participants ont vécu ces ateliers comme une réponse à leurs besoins. « Au niveau micro, comme nous disons dans notre jargon, c’est-à-dire au niveau de ce qu’ils vivent en tant que parents, ils ont pu échanger des trucs et astuces et retrouver des ressources directement mobilisables, dont certaines leur étaient devenues inaccessibles, tant leur quotidien était difficile”, résume Anne-Catherine Dubois. “Au niveau méso, donc au niveau du groupe, ils ont  découvert le sentiment d’appartenance, dans un lieu d’échange et de partage, où chacun pouvait donner et recevoir. Et, au niveau macro, ils espèrent qu’un jour, ensemble, ils arriveront à se faire entendre et à changer la société ».

Quatre fois deux heures
Les deux chercheuses, pour leur part, espèrent qu’un nouveau financement permettra à leurs ateliers, améliorés sur la base de leur expérience, de venir en aide à d’autres parents. Car les témoignages des parents participants sont éclairants. « Nous avons contacté tous les parents trois mois après les ateliers pour savoir où ils en étaient, et nous avons été profondément touchées d’apprendre à quel point ils s’étaient impliqués dans des projets personnels qui faisaient sens pour eux”, conclut Maëlle Boland. “Un papa s’était rendu compte qu’il devait adapter son rythme de travail  pour passer plus de temps avec sa famille, une maman avait réussi à partir tout un week-end en couple, après s’y être engagée vis-à-vis du groupe, une autre avait recommencé à faire de la natation, activité qu’elle avait complètement arrêtée malgré son passé en compétition, et une autre encore avait compris que sa fille aînée, qui terminait son secondaire et se trouvait dans une période de transition, avait aussi besoin de ses parents. Mais surtout, eux qui croyaient ne pas pouvoir prendre de temps pour eux ont réussi à libérer quatre fois deux heures pour participer à ce projet. C’est probablement leur message le plus décisif ».

Répit solidaire, c’est…
une plateforme, www.repit-solidaire.be, qui est issue du confinement. « Nous nous sommes dit que, pour ces parents qui accompagnent un enfant malade ou handicapé à la maison, la pandémie aggravait encore l’isolement. Nous avons donc créé un site web reprenant notamment des conseils pratico-pratiques pour organiser des activités avec leur enfant, ainsi qu’un répertoire des liens qui donnent accès aux plateformes de solidarité et aux structures de répit ;

un groupe Facebook, www.facebook.com/groups/repit.solidaire/, où les parents peuvent partager leur vécu, échanger avec d’autres parents et recevoir de l’info.

Contact :
Maëlle Boland
Anne-Catherine Dubois

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