Non, Alzheimer et liberté ne sont pas incompatibles
Pour Charlotte Lecart, le meilleur moyen de ralentir l’évolution de la maladie d’Alzheimer est de préserver la liberté de ceux qui en souffrent, dans leurs choix et leurs objectifs de vie. C’est le but du service d’accompagnement personnalisé La Camomille, construit par elle et porté par l’Association des Généralistes de l’Est Francophone de la Belgique (AGEF).
Trop souvent, le diagnostic de maladie d’Alzheimer est vécu comme une condamnation. « Parce que tout le monde – le patient, ses proches et même son médecin généraliste – a tendance à voir, d’entrée de jeu, le verre à moitié vide plutôt que le verre à moitié plein, constate Charlotte Lecart. Tout le monde fait la comparaison avec le passé – ce que le patient savait faire et dont il est désormais incapable – et appréhende l’avenir. Alors que c’est dans le présent qu’il faut vivre, un présent où le patient reste l’expert de sa propre vie, et conserve la capacité de décider et le droit de faire ses propres choix. Même si ce ne sont pas forcément les choix que ses proches et ses soignants auraient fait pour lui. »
Sans paroles
Cette conception, Charlotte Lecart, logopède et psychomotricienne, la doit à une rencontre. « J’ai travaillé dans une institution où j’ai dû m’occuper de personnes atteintes de maladies neurocognitives. J’ai alors décidé de faire la formation de référente en démence, pour mieux comprendre ces maladies et leurs manifestations, et ainsi mieux accompagner mes patients. Parmi eux, il y avait Camille. À l’époque, elle avait 89 ans. Elle était atteinte d’une maladie de type Alzheimer qui la rongeait de l’intérieur depuis déjà quelques années. Elle ne parlait presque plus. Et lorsqu’elle s’y risquait, il était de plus en plus difficile de la comprendre. Pourtant, elle racontait encore tellement de choses. Il suffisait d’apprendre à l’écouter. Camille était d’une gentillesse et d’une grandeur d’âme sans égales. Je me plais à croire, aujourd’hui, que nous nous sommes mutuellement aidées. D’ailleurs, je l’avais surnommée Camomille, comme une infusion au cœur. Elle m’a permis de développer cette sensibilité particulière que j’ai à l’égard des personnes atteintes de cette maladie. Et de me rendre compte que, par manque de moyens et de temps, on avait trop souvent tendance à faire à la place de ces personnes plutôt que de les aider à faire seules, comme elles l’ont toujours fait… Ce qui déclenchait chez certaines d’entre elles un réflexe de résistance.»
L’objectif est que le bénéficiaire conserve son estime de soi et la certitude de son utilité, et surtout, qu’il continue à se sentir une personne à part entière et à être considéré comme telle
— Charlotte Lecart, La CamomilleQualité de vie
Avec Camille, Charlotte a pris le temps. « Et, peu à peu, la situation s’est débloquée. Elle a de nouveau accepté de participer à sa toilette, par exemple. Bien que je l’aie connue moins de trois ans, elle a changé ma vision de la maladie d’Alzheimer et m’a donné envie de développer ce projet auquel j’ai donné son surnom. Dans ce type de pathologie, il n’y a pas encore de traitement qui soigne – pas de traitement efficace, en tout cas. La seule approche qui assure une véritable qualité de vie tout en ralentissant la progression de la maladie, c’est un accompagnement personnalisé, incluant aidants proches et professionnels, avec l’intervenant de La Camomille comme personne ressource, et axé sur les besoins et les aspirations de la personne, dont l’autonomie doit être préservée le plus longtemps possible ! »
Long terme
L’objectif est que le bénéficiaire conserve son estime de soi et la certitude de son utilité, « et surtout – et ça, ça n’a pas de prix – qu’il continue à se sentir une personne à part entière et à être considéré comme telle ». Pour obtenir ce résultat, cet accompagnement, qui favorise le maintien des capacités, des repères et du lien social dans le cadre du domicile, doit être mis en place très tôt dans l’évolution de la maladie, et construit en partenariat avec le bénéficiaire et ses proches, mais également, si nécessaire, en coordination avec les services d’aide et soins à domicile ou d’aide aux familles et aux personnes âgées. « Cet accompagnement est réévalué régulièrement, afin d’adapter au fur et à mesure le soutien proposé à l’évolution des besoins. Et il ne s’agit évidemment pas d’un accompagnement ponctuel : il doit être mis en place sur le long terme, ce qui signifie qu’il peut durer des années. »
Transfert d’infos
Et si, un jour, un placement s’avère nécessaire ? « Dans ce cas, ce passage en institution sera préparé, avec les proches mais aussi avec la MR/MRS, et effectué sous le signe de la continuité : La Camomille informera le personnel de la maison de repos des préférences de la personne, de sa façon de vivre, de la manière dont elle ressent les choses, afin de réduire au strict minimum le traumatisme du transfert et la désorientation qu’il peut générer. Ça n’a pas encore été fait, parce que le projet de La Camomille ne remonte qu’à février dernier, mais, le jour où ça se produira, nous ne laisserons pas tomber la personne : en accord avec la MR/MRS, elle continuera à voir les gens auxquels elle est habituée… »
Alternative
Charlotte Lecart ne se targue pas d’être originale. « Je n’ai pas la prétention de dire que ce que je propose est innovant. Je me suis inspirée de méthodes, de philosophies, d’approches qui existent déjà, notamment au Québec avec la méthode Carpe Diem, ou en France avec la philosophie de soins Humanitude, et aussi avec Senior Montessori, et qui démontrent l’impact positif d’un accompagnement différent, axé sur la relation plus que sur des résultats à obtenir à tout prix. Mon objectif est simplement d’offrir une alternative entre le domicile et la maison de repos, en aidant les bénéficiaires et leurs proches à mieux comprendre la maladie et à mener une vie de qualité avec et malgré elle. Et aussi en leur servant de référence, afin de les rassurer : lorsqu’ils se posent une question ou rencontrent une difficulté inattendue, La Camomille est là pour eux. »
Mon projet a fait mouche parce qu’il répondait à un besoin récurrent véhiculé par les médecins généralistes de la région : comment accompagner, dès les premiers symptômes, les personnes porteuses d’une maladie de type Alzheimer, afin qu’elles puissent mieux la comprendre et la vivre au quotidien ?
— Charlotte Lecart, La CamomillePremière ligne
Dans l’arrondissement de Verviers, où Charlotte Lecart est active, près de 4.000 personnes seraient atteintes d’une maladie neurocognitive. Pour les impliquer, elle a présenté son projet à l’Association des Généralistes de l’Est Francophone de Belgique (AGEF), qui a accepté de le mettre en place sous la forme d’un trajet de soins « Alzheimer et maladies apparentées ». « Mon projet a fait mouche parce qu’il répondait à un besoin récurrent véhiculé par les médecins généralistes de la région : comment accompagner, dès les premiers symptômes, les personnes porteuses d’une maladie de type Alzheimer, afin qu’elles puissent mieux la comprendre et la vivre au quotidien ? Et ce partenariat avec les médecins généralistes est extrêmement précieux, puisque l’objectif de La Camomille est d’intervenir le plus tôt possible dans l’évolution de la maladie, et qu’eux travaillent en première ligne et sont, pour leurs patients, des personnes de confiance. »
Relation
En pratique, d’ailleurs, la demande d’accompagnement émane, dans la plupart des cas, du médecin généraliste. « Dans un premier temps, nous essayons d’avoir un entretien avec l’aidant le plus proche, pour qu’il puisse s’exprimer et échanger sur son quotidien sans censure ni crainte de blesser la personne malade, et également afin de découvrir ce que cette dernière sait de sa situation cognitive. Parce qu’il y a des personnes qui ont reçu un diagnostic, d’autres dont le diagnostic n’a pas encore été posé ou reste non verbalisé, d’autres qui sont dans le déni… Et la première impression est essentielle ! Ensuite, nous rencontrons la personne malade avec son aidant, nous mettons l’accompagnement en place, en fonction de leurs désirs, et puis nous passons régulièrement, afin d’établir la confiance et de permettre aux bénéficiaires et aux aidants d’adopter les bonnes attitudes, la bonne communication, et de garder une relation non pas aidant-aidé, mais époux-épouse, petite fille-grand-mère, etc. C’est le meilleur moyen d’éviter les risques d’épuisement, de perte de contrôle et de stress important.»
Alzheimer, mode d’emploi
Comme le résume l’AGEF, « ce service permet aux bénéficiaires de trouver leur « mode d’emploi » personnalisé et adapté à leur contexte de vie ». Un objectif qui s’inscrit dans l’air du temps, puisque l’autonomie des personnes atteintes de déficience cognitive était un des principaux points à l’ordre du jour de la 29e conférence européenne de WONCA (l’Organisation Mondiale des Médecins Généralistes), qui s’est déroulée à Dublin en septembre dernier. Un des orateurs, le Dr Nick Mamo, a souligné que « nous nous concentrons trop sur la prévention des préjudices et négligeons le principe d’autonomie. Il est pourtant essentiel de donner aux patients le droit de prendre leurs propres décisions… ».
D’abord vivre
Ce n’est pas pour rien qu’à La Camomille, les demandes de suivi se multiplient. Reste à savoir comment ce service, lancé pour un an grâce à l’aide du Fonds De Coninck et de l’AVIQ (Agence wallonne pour une vie de qualité), pourra être financé dans l’avenir. « Mais je suis prête à frapper à toutes les portes, car je suis convaincue du bien-fondé de cette approche, affirme Charlotte Lecart. Ce projet, je l’ai créé pour toutes les personnes comme Camille, qui, malgré cette maladie, restent capables d’apprécier la vie, de profiter de leur famille, de prendre du plaisir… Vivre avec la maladie d’Alzheimer, c’est d’abord vivre. C’est pourquoi La Camomille véhicule une image positive. La maladie d’Alzheimer ou toute autre maladie apparentée ne vous condamne pas à être malheureux. »
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La Camomille
Contact : Charlotte LECART
Association des Généralistes de l’Est Francophone de Belgique