Problèmes psychiques : à qui s’adresser ?
Si le rôle de la première ligne dans la prise en charge des maladies physiques saute aux yeux, il n’en va pas de même pour les troubles psychiques. Dans le Luxembourg, cependant, une étape décisive vient d’être franchie avec SMap-Lux, un site web interactif lancé au Centre culturel de Sibret trois jours avant la Journée mondiale de la santé mentale.
« Nous sommes des œufs. Toi, blouse blanche, tu es un œuf. Bien enfermé dans ton quotidien, tu as su garder ta coquille intacte. Elle te protège de tes émotions et de la violence du monde. Moi, par contre, je suis un œuf à nu. Ma fragilité a cassé ma coquille protectrice. Ma sensibilité a pris le dessus sur mon intelligence et ma raison. Elle les a brouillées et elles ont éclaté. Derrière ta coquille de blouse blanche, on distingue bien le blanc du jaune. Tout est à sa place. Hé, mon cher blouse blanche, avec moi, tu n’as pas affaire à un œuf. Tu soignes un œuf… brouillé. » Sur la scène du Centre culturel de Sibret, les comédiens du Théâtre des Travaux et des Jours, un maquillage de farce, blanc, rouge et noir, figeant leurs traits en un rictus amer, évoquent le quotidien d’un hôpital psychiatrique. « Nous sommes pour eux une inconnue dans une équation. Quand l’inconnue s’appelle dysfonctionnement cérébral, la solution, c’est médication radicale. » La pièce, écrite par deux auteurs diagnostiqués et traités comme porteurs d’une maladie mentale, qui ont choisi de raconter leur expérience et leur ressenti en HP, s’appelle Un lit d’œufs sur du sable mouvant. Si elle a été choisie pour ponctuer le lancement de SMap-Lux, c’est évidemment pour ouvrir la réflexion sur la maladie mentale, mais aussi dans l’espoir que, mieux orientées, les personnes souffrant de troubles mentaux seront moins nombreuses à subir cette épreuve.
Désarroi
Le Relais Social Intercommunal de la Province de Luxembourg ou RSLux (www.relais-social-luxembourg.be) n’existe que depuis novembre 2021, mais il n’a pas fallu longtemps à la psychologue Sandrine Conradt, sa coordinatrice générale, forte de 17 ans d’expérience au Relais Social de Verviers, pour se rendre compte que, face aux problèmes de santé mentale, les travailleurs sociaux se sentaient démunis et ne pouvaient souvent que constater leur impuissance à venir en aide aux usagers et à leurs proches. « Parce que, même si certaines informations utiles leur étaient parvenues, ils en avaient oublié les détails et ne savaient pas où les chercher, commente Sandrine Conradt. Cette prise de conscience plongeait beaucoup d’entre eux dans le désarroi… » Même constatation pour l’équipe de Résolux, qui vise à favoriser l’autonomie et le bien-être à la maison des personnes souffrant de difficultés liées à la santé mentale : « Voici quelques phrases que nous entendons régulièrement : « Je me sens dépassé en tant que professionnel face à ce profil », « Vers qui me tourner ? J’ai déjà rencontré tel service qui m’a redirigé vers tel service qui m’a encore redirigé vers tel service.» « Handicap ? Santé mentale ? Assuétude ? Finalement, quel service peut venir en aide à cette personne ? »
Un outil, mais quel outil ?
Des questionnements qui traduisent, en plus d’un sentiment d’impuissance, une certaine confusion quant aux rôles des différents services et à la complexité de certaines situations. « Très vite, souligne Sandrine Conradt, nous nous sommes dit qu’il serait intéressant de disposer d’un outil qui rassemblerait tous les intervenants en santé mentale de la province et permettrait non seulement aux professionnels, mais aussi aux usagers et aux proches, de s’orienter correctement dans ce réseau, en fonction de leurs besoins. Mais comment procéder ? Nous en étions là de nos réflexions quand l’appel à projets de la Fondation Roi Baudouin, en 2022, nous a poussés à passer à l’action. »

Des bouteilles sur le tapis
Santé mentale dans la première ligne. Renforcer la collaboration entre la première ligne et les soins de santé mentale par du coaching. Le titre de cet appel à projets, initiative commune des Fonds Dr Daniël De Coninck, Julie Renson, Reine Fabiola, et de la Fondation Roi Baudouin, exprimait la même inquiétude devant les difficultés dénoncées par les intervenants. Comme l’a rappelé Yves Dario, de la Fondation Roi Baudouin, lors du lancement de SMap-Lux, « Cet appel à candidatures s’adressait à tous les acteurs de la première ligne de l’aide sociale et de la santé mentale qui, au quotidien, sont confrontés à des situations complexes de vulnérabilité psychique. Je cite toujours l’exemple de cette aide-ménagère sociale qui va faire les courses avec la personne dont elle s’occupe. Tout d’un coup, à la caisse, cette personne commence à mettre des bouteilles d’alcool sur le tapis roulant. Et l’aide-ménagère se trouve complètement désemparée, ne sait pas ce qu’elle doit faire, qui elle doit appeler. Ça, c’est vraiment une situation concrète où des problèmes d’assuétude ou la santé mentale interfèrent avec des pratiques de première ligne, les personnes n’étant pas forcément préparées et formées pour réagir. Donc, l’idée de cet appel à projets, c’était vraiment de donner un coup de pouce à celles et ceux qui souhaitaient nouer des collaborations ou renforcer des collaborations déjà existantes et surtout les inscrire dans la durée, pour que première ligne et santé mentale restent connectées. »
Retenu !
Un appel à projets qui cadrait parfaitement avec la mission et les aspirations du Relais Social. « Le Relais Social s’occupe d’un public en grande précarité et en exclusion sociale, et a pour mission de coordonner les actions du secteur public et du secteur privé face aux réalités de la province, résume Sandrine Conradt. L’idée de bénéficier des conseils d’une ou d’un coach pour développer un outil destiné à répondre au besoin croissant d’orientation en santé mentale dans le Luxembourg belge nous a tout de suite séduits. » En collaboration avec le réseau ProxiRélux (www.reseau-proxirelux.be), en charge de l’organisation des soins et de l’accompagnement des usagers de la santé mentale sur le territoire provincial, le Relais Social décide donc de tenter sa chance. Et, en juin 2023, la nouvelle tombe : son projet a été retenu !
Réflexion collective
« Et bien sûr, avoue Sandrine Conradt avec une pointe d’ironie, à peine avions-nous signé la convention que nous nous sommes posé la question : est-ce qu’on va y arriver ? Financièrement, nous ne disposions que de deux ans, et deux ans, c’est court ! » Heureusement, l’enthousiasme inébranlable de Maureen Guillaume, la chef de projet, et le coaching ciblé de Natacha Mathy de CapZen, spécialiste de la gestion des projets… et du stress, triomphent de tous les doutes. Dès septembre 2023, une équipe projet se constitue pour définir les objectifs et coordonner le travail. « Nous n’étions pas très nombreux, remarque Maureen Guillaume. Seulement les deux porteurs du projet, RSLux et ProxiRélux, avec la maison d’accueil Le 210 et le Comité Usagers et Proches. Le Service Intégré de Soins à Domicile (SISD) et les équipes mobiles pluridisciplinaires en soins psychiatriques DiapaZon ne nous ont rejoints que par la suite. Mais notre réflexion collective n’en a été que plus efficace ! »
Seule une approche intégrée, collaborative et humaine permettra de relever le défi de la santé mentale.
— Yves Dario - Fondation Roi BaudouinFocus groups
La formule choisie ? Un outil informatique, pour tous et pas seulement pour les professionnels – « Nous nous sommes dit qu’il arrivait aussi à une personne lambda de se demander : ‘Qui pourrait me répondre ?’ » – mais dont les spécificités devaient être définies par des services actifs dans le domaine de la santé mentale, afin qu’il soit en adéquation avec les réalités du terrain. C’est pourquoi, en 2024, trois matinées de focus groups ont été organisées avec le réseau. « 18 services, d’horizons différents et représentant l’ensemble du territoire, ont répondu présents, précise Maureen Guillaume. La Province elle-même, d’abord, mais aussi des maisons médicales, le Service de Santé mentale de Bastogne, l’intercommunale de soins de santé Vivalia, Résolux, axé sur les adultes présentant une maladie mentale et séjournant à domicile, l’asbl Soleil du Cœur, maison d’accueil pour hommes qui propose ‘un espace pour se reconstruire’, etc. L’outil est vraiment sorti des têtes de leurs représentants : un site internet, dont la page d’accueil affiche plusieurs ports d’entrée pour accéder à l’information – Recherche, Répertoire, Boîtes à outils, À propos, Urgence – et qui est axé sur trois arborescences – une pour les usagers, une pour les proches, une pour les professionnels – permettant d’affiner les besoins des utilisateurs. »
Win-win
SMap-Lux, qui ne concerne que les usagers adultes, pas les enfants ni les seniors, ne fournit évidemment pas de diagnostic. Son seul but est d’orienter les utilisateurs vers le ou les services qui leur conviennent le mieux. « Actuellement, explique Maureen Guillaume, quelque 250 services, reconnus et agréés, se sont inscrits sur notre site et ont complété la fiche que nous leur avons envoyée, avec une brève description de leurs domaines et zones d’action. Et, bien entendu, leurs heures d’ouverture, permanences, conditions d’accès, numéros de téléphone, etc. Je reconnais qu’il n’a pas toujours été facile de les convaincre : certains nous ont pris pour des fous ! Mais, à mesure que nous avancions dans notre projet, même les plus sceptiques ont fini par se dire ‘Peut-être ces loufoques-là sont-ils en mesure de nous donner quelque chose dont nous avons besoin’ ! » Le seul problème, c’est que l’orientation, même tout à fait pertinente, peut échouer, tout simplement par manque de disponibilités. « Plusieurs services, souligne Maureen Guillaume, nous ont dit : ‘Vous allez orienter certaines personnes vers nous, mais nous ne pourrons peut-être pas les aider, parce que nous sommes constamment overbookés’. Mais, selon nous, si les personnes sont mieux orientées, les services seront moins overbookés. À terme, ce sera une opération win-win ! »
Un outil efficace
Les trois arborescences ont été déclinées en un site web interactif, www.smap-lux.be, conçu par le développeur web Jérôme Hubert. Un outil simple et accessible, même aux personnes en souffrance psychique, auxquelles SMap-Lux devrait épargner le véritable parcours du combattant qui leur est aujourd’hui imposé avant de découvrir – ou pas – le service le plus à même de les accompagner. Un outil modeste mais performant, qui répond à la conviction, affirmée par Yves Dario de la Fondation Roi Baudouin, « que seule une approche intégrée, collaborative et humaine permettra de relever le défi de la santé mentale ». Un outil dont le nom intrigue. « Pourtant, rien de plus simple, explique Sandrine Conradt. Lux veut évidemment dire ‘Luxembourg’. Les initiales SM signifient Santé Mentale. Et dans SMap, il y a ‘Map’, ‘carte’, parce que nous avons cartographié tous les services de santé mentale pour adultes de la Province du Luxembourg. » Et ainsi contribué à amener dans la santé mentale un peu plus de cet espoir invoqué sur tous les tons, non seulement durant la représentation d’Un lit d’œufs sur du sable mouvant, mais aussi, lors de la discussion qui a suivi, par certains intervenants du public.
Rencontre
Par exemple cette infirmière travaillant en unité de crise fermée, pour qui tant la pièce que le nouvel outil SMap-Lux sont « une ouverture à la bienveillance et à l’humanité. Pour nous, professionnels, toute rencontre avec un patient devrait d’abord être une rencontre avec une personne, une exploration de son vécu, une compréhension de ses ressentis. Et nous risquerons d’autant moins de tomber dans le piège des préjugés et des partis pris que cette personne aura été bien orientée et que nous serons donc en mesure de lui apporter une aide réelle, au lieu d’être confrontés à notre propre impuissance ».
Contact:
[email protected]
www.smap-lux.be