S’attaquer à la dépendance à l’alcool dès la première ligne

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La dépendance à l’alcool est une pathologie répandue, mais qui reste souvent cachée et même tabou. Elle peut être détectée et prise en charge dès la première ligne, comme le montrent deux projets pilotes menés en Brabant wallon : l’un cherche à faire jouer un rôle plus proactif au pharmacien, l’autre à mesurer l’impact d’ateliers créatifs et thérapeutiques sur des patients alcoolodépendants.

“Le pharmacien peut exercer une fonction essentielle de dépistage précoce du mésusage de l’alcool et d’accompagnement des personnes dépendantes”, affirme Marie-Anne Meulders, elle-même pharmacienne en officine et en milieu hospitalier. “Mais pour cela, il faut qu’il soit formé et qu’il puisse faire appel à une structure spécialisée en addictologie, locale et multidisciplinaire pour les patients dépendants”.

C’est l’objectif qu’elle poursuit au travers d’un projet soutenu par le Fonds Daniël De Coninck, au sein du réseau ASAR-BW – Aide et Soins en Assuétudes Réseau Brabant wallon, une asbl agréée par la Région wallonne et dans laquelle elle s’implique en tant que représentante des pharmaciens. “La dépendance à l’alcool est une problématique largement cachée”, dit-elle : “on estime qu’à peine 8% des patients alcooliques sont dans une offre de soins ! Ce sont en effet des patients qui prennent du temps, complexes, souvent dans le déni et atteints de troubles cognitifs qui les empêchent de demander de l’aide. C’est donc aux praticiens de faire le premier pas, ce que beaucoup de ces patients attendent. Et le pharmacien est idéalement placé pour jouer ce rôle proactif”.

 Des structures relais

Mais trop peu de pharmaciens sont sensibilisés et formés pour exercer cette fonction. “Il faut apprendre à être attentif aux portes d’entrée pour pouvoir en parler, comme certaines pathologies aggravées par l’usage de l’alcool (diabète, hypertension, insomnie, problème gastro-intestinal…) ou certains médicaments qui ont des interactions avec l’alcool. Ce sont chaque fois des opportunités pour poser habilement les bonnes questions”, poursuit Marie-Anne Meulders. “Si l’entretien révèle une consommation excessive d’alcool par rapport aux normes du Conseil supérieur de la Santé, mais sans qu’il y ait encore une réelle dépendance, une intervention brève du pharmacien – consistant à informer le patient, le conseiller, le suivre et l’encourager – est souvent efficace pour revenir à une consommation modérée”.

Après avoir elle-même suivi une formation en alcoologie, Marie-Anne Meulders forme et informe à son tour des médecins et des pharmaciens pour qu’ils puissent mieux assurer ce rôle de dépistage en première ligne. “S’ils détectent un cas d’alcoolisme avéré, il convient d’orienter le patient vers un centre spécialisé. Ce qui suppose que les pharmaciens connaissent bien le réseau d’aide. Mais celui-ci est souvent saturé et insuffisant. Je plaide donc pour la création de structures relais de soins ambulatoires : de petites équipes multidisciplinaires, souples et réactives, comprenant un médecin, un psychothérapeute, un assistant social, un pharmacien… qui peuvent assurer une prise en charge globale, dite bio-psycho-sociale”. Cela nécessite la recherche de subsides pour financer de telles initiatives, qui dépassent le cadre du Fonds De Coninck. Des contacts vont être pris avec la Région wallonne, les mutuelles,… pour les convaincre que c’est de l’argent bien investi : au total, cela peut constituer une source d’économies.

 Se sentir reconnu

Le docteur Thierry Wathelet travaille pour la maison médicale Espace Santé, à Ottignies, et plus spécifiquement au sein de Patchwork, un service spécialisé pour patients alcoolodépendants. “Nous organisons des ateliers d’expression créative (peinture, terre glaise, mosaïque) où ces patients peuvent laisser libre cours à leur ressenti émotionnel et ensuite, lors d’un temps de parole final, mettre des mots sur ce que cela a fait émerger en eux”, explique-t-il. “J’avais intuitivement le sentiment que ces ateliers apportent un bienfait aux patients et contribuent à stabiliser ou même à entamer un sevrage (car il ne faut pas obligatoirement être abstinent pour pouvoir y participer). Mais je souhaitais pouvoir évaluer leur impact de manière plus objective, notamment sur les fonctions cognitives et exécutive, afin de pouvoir en retirer des éléments pour affiner notre démarche. L’appel du Fonds De Coninck est tombé à point nommé pour cela.”

En plus de cette évaluation, le soutien du Fonds a permis de lancer un atelier de théâtre et d’improvisation, qui bénéficie depuis lors d’un financement facultatif (pendant un an) de la Région wallonne. “C’est un outil qui complète notre offre dans la mesure où il porte sur une forme d’expression orale et corporelle et où il amène aussi à se confronter aux autres, alors que dans les ateliers artistiques, on va surtout à la rencontre de soi”, poursuit le docteur Wathelet. “De plus, les exercices de théâtre et les répétitions favorisent le travail de la mémoire et stimulent ainsi les fonctions neuro-cognitives, qui sont souvent dégradées chez les patients alcoolodépendants. Le point commun de tous ces ateliers est que les participants se sentent reconnus et ont l’occasion de créer quelque chose de constructif, dans un contexte où on ne parle pas de leur problématique”.

 Cohorte témoin

Quantifier avec précision l’effet de ces activités se heurte cependant à certaines dificultés. Thierry Wathelet : “Le principal problème est de constituer une cohorte suffisamment représentative de patients témoins, qui bénéficient uniquement d’un suivi individuel. Je collabore pour cela avec des collègues thérapeutes, mais le groupe de personnes concernées présente souvent des caractéristiques très disparates et la recherche devrait pouvoir se poursuivre au-delà du délai prévu pour qu’elle soit plus significative. Une autre difficulté est de définir les critères à mesurer : quels sont les effets qui sont imputables à la simple création de liens, comme par exemple pour les alcooliques anonymes, et ceux qui résultent de l’activité créatrice proprement dite ?”

C’est pourquoi le docteur Wathelet complète aussi cette étude quantitative en recueillant des témoignages qualitatifs de patients qui attestent des bienfaits de ces ateliers. Et ceux-ci sont éloquents. “Je n’imaginais pas que j’étais capable de faire ce que j’ai fait”, a dit l’un d’eux. “Je me sens détendue, cela a fait plus d’effet qu’un verre de vin. Cela m’a donné confiance en moi, car je suis bien encadrée et on ne met pas la pression”, déclare une autre participante. Ou encore : “Grâce aux ateliers, j’ai arrêté mes consommations. Je me sens de nouveau moi-même. J’essaie de donner de l’amour au gens”.

Deux initiatives soutenues en 2018 dans le cadre de l’appel à projets 2018 ‘Bourses pour les professionnels de l’aide et des soins de première ligne’

Plus d’infos sur ‘Aide et Soins en Assuétudes Réseau Brabant Wallon’ 

Plus d’infos sur ‘Espace Santé Maison médicale d’Ottignies’

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