Vous avez dit ‘vertiges’?

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C’est sous ce titre, qui résume toute sa vie professionnelle, qu’Alain Bauwens, kinésithérapeute de formation mais orthoptiste par vocation, a présenté au Fonds Dr Daniël De Coninck son PPS ou Panneau Panoramique Stéréoscopique. Un dispositif de rééducation visuo-vestibulaire aujourd’hui validé et diffusé grâce à une bourse accessible à tout professionnel actif, comme lui, dans la première ligne de l’aide et des soins.

Au départ, Alain Bauwens n’avait d’autre ambition que d’être « kiné ». Mais, à peine installé à Bastogne, il est interpellé par un jeune ORL intéressé par le traitement fonctionnel – donc ni chirurgical ni médicamenteux – des vertiges. « Il était à la recherche d’un kinésithérapeute qui accepterait de se familiariser avec cette forme de rééducation. Comme c’était tout à fait nouveau, j’en avais à peine entendu parler. Mais je savais quand même que le Français Alain Sémont, lui aussi kinésithérapeute, mais formé aux neurosciences, avait réhabilité le fauteuil rotatoire, destiné à traiter les vertiges résultant d’une atteinte brutale et profonde d’un organe vestibulaire. Et aussi qu’il était l’inventeur de la manœuvre dite ‘de Sémont’, qui soigne le vertige paroxystique positionnel bénin, d’origine mécanique, dû à des petits cristaux de carbonate de calcium, les otolithes. »

Un autre métier
Sa rencontre avec Alain Sémont, dont il finit par suivre la formation, est décisive pour sa carrière. « Il m’a dit : ‘Vous êtes kiné, vous allez devenir rééducateur vestibulaire, c’est un autre métier’ ! » En cause, le ‘système vestibulaire’, qui doit son nom au vestibule de l’oreille interne, organe de l’équilibre. « Les troubles vestibulaires peuvent se manifester par différents symptômes tels que vertiges, étourdissements, pseudo-ébriété, déséquilibre, nausées… Mais je me suis vite rendu compte que mes patients vertigineux avaient souvent des plaintes à connotation visuelle, auxquelles, comme kiné, je n’étais pas formé. Autrement dit, mes connaissances étaient insuffisantes : pour la rééducation des vertiges, une seule casquette ne suffit pas. J’ai donc décidé de faire l’orthoptie en post-graduat, à Gand. »

Le petit bout de la lorgnette
L’orthoptiste est en effet le professionnel paramédical qui examine, analyse, rééduque et réadapte le système visuel et oculaire chez l’adulte comme chez l’enfant. « Dès lors, je me suis consacré entièrement à la rééducation des vertiges, et j’ai beaucoup appris. Dans les congrès et les réunions des sociétés savantes, au contact d’autres rééducateurs, mais surtout grâce aux patients. Et aujourd’hui, 35 ans après, le message que j’essaie de faire passer, en toute humilité, aux professionnels qui s’intéressent aux vertiges, qu’ils soient médecins ou paramédicaux, c’est qu’il ne faut pas essayer de comprendre un vertige en regardant par le petit bout de la lorgnette.  Pour traiter les vertiges, il faut connaître la neurologie, l’oreille interne, la façon dont l’oculomotricité fonctionne, et surtout être prêt à collaborer, à travailler en équipe, car les vertiges n’appartiennent à personne ! »

La fonction vitale est en jeu. C’est pourquoi il est important que le diagnostic soit bien fait en première ligne.

— Alain Bauwens

Deux millions par an
En France, les consultations pour vertiges dépassent  quinze millions par an – soit quelque 300.000 par semaine. À l’échelle de la Belgique,  ça fait à peu près deux millions de consultations par an, et pas moins de 5% des passages aux urgences. « Si la plupart des vertiges ne sont pas graves, en effet, certains sont vraiment inquiétants, parce qu’ils peuvent révéler une pathologie centrale, un AVC, un AIT… La fonction vitale est en jeu. C’est pourquoi il est important que le diagnostic soit bien fait en première ligne. Mais cette tâche n’est pas facile. L’ORL a souvent besoin d’être épaulé par le neurologue, le neuroradiologue, l’ophtalmologue ou le neuro-ophtalmologue, qui interviennent chacun dans sa partie, mais dont la mission n’est autre que d’aider au diagnostic. Ensuite, il revient à l’orthoptiste, véritable spécialiste de l’oculomotricité et du ‘vertige’, de contribuer, par sa vision transversale et son expérience de terrain, à la compréhension et au traitement des symptômes sensoriels. Ainsi, en unissant leurs compétences, les rééducateurs orthoptistes et kinésithérapeutes empêcheront peut-être que de plus en plus de vertiges soient classés sous l’appellation PPPD. »

Jamais en 35 ans
PPPD, ça signifie Persistent Perceptual Postural Dizziness, ou étourdissement postural perceptif persistant. « Ce nom est désormais utilisé à tort et à travers pour tous les vertiges qu’on ne comprend pas ou qu’on ne parvient pas à guérir. Inutile de dire que les patients qui se voient coller cette étiquette sombrent dans le désespoir ! Or, en 35 ans de carrière, je n’ai jamais croisé un PPPD : lorsqu’on soigne bien les patients dès le début, en recourant à des techniques ciblées et en respectant la physiologie, ils sont très vite guéris. Par contre, si on donne la préférence à des techniques hi-tech mais faciles, comme le casque de réalité virtuelle, on enfonce les patients au lieu de les soigner.  En créant un stress au niveau du système nerveux central, la réalité virtuelle provoque une sorte de bug informatique : le cerveau, atteint de cybersickness, ne parvient plus à traiter correctement les informations visuospatiales. »

PPS
Par contre, grâce au PPS ou Panneau Panoramique Stéréoscopique inventé par Alain Bauwens, beaucoup de patients PPPD en errance thérapeutique ont vu leur état spectaculairement amélioré. « Mon PPS est un paravent parabolique en PVC sur un support à roulettes, qui se place devant le classique fauteuil rotatoire permettant d’agir sur le réflexe vestibulo-oculaire.  Le patient est assis dans le fauteuil et, pendant la rotation, il fixe une mire à 40 cm de distance.  L’idée du PPS découle du hasard : comme tous mes patients me faisaient remarquer que la difficulté de la tâche augmentait lorsque la mire de fixation passait devant une étagère de mon bureau, garnie de classeurs jaunes percés de trous noirs, j’en ai déduit qu’en couplant la mire de fixation à un arrière-plan visuellement très agressif, très dérangeant, le pouvoir de l’exercice en serait accentué. Et ça s’est avéré. »

Temps partiel
À tel point même qu’il a présenté cet outil de rééducation vestibulo-visuelle, dès 2014, au congrès des rééducateurs à Charleroi. « Ensuite, j’ai diffusé le PPS à titre amical à des kinés et des orthoptistes, mais petit à petit, puisque je fabriquais chaque exemplaire moi-même dans mon atelier !  Lorsque j’ai vu passer cet appel à projet du Fonds Dr Daniël De Coninck, j’ai expliqué à la Fondation Roi Baudouin qu’une étude multicentrique était nécessaire pour valider l’efficacité du dispositif et que, pour m’y consacrer, je devais passer d’un temps plein de 5 jours par semaine à l’hôpital de Bastogne à un temps partiel de 3 jours par semaine. Le soutien du Fonds devait être une compensation financière à la libération de ces deux jours. Et mon projet a été retenu ! »

Au-delà des vertiges
C’est désormais chose faite : le PPS bénéficie de la validation CE et de l’agrément de l’Agence Fédérale des Médicaments et des Produits de Santé (AFMPS). « Le PPS suscite d’ailleurs un intérêt croissant, notamment chez les neurologues, car son efficacité dépasse le cadre des vertiges : il commence à être employé dans le traitement du TDAH (trouble du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité), du mal des transports, des troubles du sommeil… C’est normal : dans le cerveau, tout est interconnecté. » Fini, l’artisanat : le PPS sera désormais fabriqué et distribué par une firme de matériel médical. Et une autre firme, axée sur le virtuel, envisage de produire l’effet PPS avec des lunettes 3D.  « Moi, je ne m’occuperai plus que de l’enseignement et de la poursuite des études sur le système nerveux central, avec des informations visuelles et vestibulaires. Et puis, je vais reprendre mon bâton de pèlerin pour essayer d’améliorer le diagnostic en première ligne, en encourageant les kinés et les orthoptistes à travailler ensemble ! »

* Pour suivre l’exemple d’Alain Bauwens, posez votre candidature  pour obtenir une bourse du Fonds Daniël De Coninck pour les professionnels de l’aide et des soins de première ligne. Il s’agit d’un appel qui se répète chaque année à partir de mars. Plus d’info via le site du Fonds et sur LinkedIn

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