Parlons santé… avec les primo-arrivants

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Difficile de prendre sa santé et celle de ses enfants en main quand on ne dispose même pas du vocabulaire nécessaire pour décrire ses symptômes. À Tournai, l’asbl ANAMA apprend aux primo-arrivants à communiquer avec les prestataires de soins.

Si le nom de l’association ANAMA, que Martine Omé a fondée à Tournai en 2010, ne véhicule aucun message – « C’est seulement la contraction des premières lettres des prénoms de mes filles ! » – son objectif est clair : aider les personnes isolées par l’âge, la précarité ou un statut transitoire à retisser des liens sociaux et leur fournir les outils nécessaires pour conquérir leur autonomie et devenir responsables de leur santé et de leur cadre de vie. Ce n’est pas pour rien que l’asbl a pris pour devise une citation de l’écrivain espagnol du 19e siècle Gustavo Adolfo Bécquer : ‘la solitude est très belle… quand on a près de soi quelqu’un à qui le dire’.

Au-delà
Active auprès des personnes âgées et dans les milieux défavorisés, ANAMA, qui fonctionne uniquement avec des bénévoles, dispense aussi, depuis plusieurs années, des cours de français aux personnes d’origine étrangère, en particulier aux nombreux primo-arrivants qui gravitent autour du centre d’accueil pour demandeurs d’asile de la Croix-Rouge de Tournai. « Au départ, explique Martine Omé, cette formation, donnée dans une salle mise à notre disposition par la Maison Internationale, était très scolaire. Nous comptons parmi nos bénévoles plusieurs enseignants, retraités ou non, qui leur apprenaient la grammaire, l’art de faire des phrases correctes, oralement et par écrit, etc. Mais, lors de nos débriefings, nous nous sommes vite rendu compte que les besoins de nos élèves allaient bien au-delà  » !

Complexité
Leurs élèves, qui proviennent de milieux très variés – « Certains sont universitaires, mais d’autres quasi analphabètes dans leur propre langue… Ça ne nous facilite pas la tâche ! » – et ont des motivations très différentes – « Les uns viennent à nous de leur propre initiative, parce qu’ils veulent s’intégrer rapidement, tandis que les autres nous sont envoyés par le CPAS ou le FOREM ». Ils demandent à être guidés pour compléter des documents administratifs, par exemple, louer un logement ou même faire leurs courses au marché. « Mais, ce qui émerge le plus souvent, ce sont les problèmes de santé, souligne Martine Omé. Dans notre public, il y a beaucoup de réfugiés, arrivés chez nous au terme d’un long voyage, parfois malades, inquiets de l’état physique de leurs enfants, et démunis devant la complexité d’un système de santé qui leur est totalement inconnu ».

Projet en plusieurs phases
Dans un premier temps, les bénévoles d’ANAMA ont pris le parti de les accompagner chez le médecin ou à l’hôpital. « Mais, notre but a toujours été de les rendre autonomes, pour qu’ils puissent gérer leur propre santé. Ce qui signifie qu’ils doivent comprendre nos structures sanitaires, savoir quels professionnels de santé contacter, et posséder le vocabulaire nécessaire pour décrire leurs symptômes, demander des explications sur le diagnostic et les traitements, et lire les notices des médicaments. » Pour atteindre ce résultat, les bénévoles d’ANAMA ont élaboré un projet en plusieurs phases, qu’ils ont soumis au Fonds Dr Daniël De Coninck. Il implique la découverte des différentes parties du corps, à l’aide de planches didactiques, l’apprentissage d’une série de mots-clés, déterminés en coopération avec les maisons médicales tournaisiennes, et des mises en situation à travers des jeux de rôles.

Saynètes
Ce projet inclut aussi un petit lexique de la santé (maladies, symptômes, etc.), à base de schémas et de dessins, et un mémo reprenant les différents acteurs de la santé à Tournai (mutualités, maisons médicales, hôpitaux…). « Par ailleurs, précise Martine Omé, les personnes maîtrisant mal ou pas du tout notre langue pourront apprendre à décrire leurs symptômes sous formes de saynètes, grâce à certains de nos bénévoles qui ont une formation en théâtre action. Et nous comptons aussi travailler certains sujets comme la contraception, les familles nombreuses, etc. directement avec les personnes concernées». Notamment avec les femmes, partiulièrement difficiles à contacter et à mobiliser.

Problème culturel
« Nous avions déjà constaté que nos cours de français étaient surtout fréquentés par des hommes, remarque Martine Omé. Nous avons d’abord cru que nous avions mal choisi notre jour – le mercredi après-midi, les femmes devaient rester avec les enfants en bas âge. Mais, comme l’ajout d’un deuxième jour n’a pratiquement rien changé à la situation, nous en avons conclu que le problème était culturel. Les maris sortent, cherchent des renseignements, posent des questions. Les femmes restent la plupart du temps au centre de la Croix-Rouge, ne faisant même pas les courses et n’apprenant pas le français  ». Curieusement, toutefois, la crise sanitaire, qui a lourdement impacté le projet, même si les bénévoles se sont efforcés de maintenir des contacts téléphoniques ou virtuels, a aidé certaines femmes à sortir de leur réserve. « Elles ont eu peur, pour elles-mêmes et surtout pour leurs enfants. Elles se sont interrogées sur les symptômes, les masques, la vaccination, les démarches à faire, et elles ont fini par nous demander de l’aide ».

Retour post-grossesse
La Covid a donc eu, dans ce domaine, un effet positif. « Grâce à elle, l’importance de parler de sa santé pour mieux la gérer s’est imposée aux primo-arrivants, comme d’ailleurs à nos autres publics cibles ». Résultat : l’association enregistre ses premiers retours. « Principalement après des grossesses. Les mamans tiennent les bénévoles au courant : le bébé est né avec autant de kilos, il a tel petit problème, mais la mère a réussi à dialoguer avec le pédiatre… Ça fait évidemment plaisir aux bénévoles ! Ceci dit, je signale toujours aux personnes qui veulent rejoindre ANAMA que leur tâche peut se révéler ingrate : des liens forts peuvent se nouer rapidement, mais se rompre tout aussi rapidement. Car, une fois devenues autonomes, les personnes aidées passent à autre chose, et parfois sans un au revoir. C’est humain, mais, pour les bénévoles, ça peut être difficile ».

Partage
Le plus difficile, toutefois, est d’instaurer un lien de confiance avec les demandeurs d’asile, qui ont tendance à assimiler les bénévoles d’ANAMA à des représentants des autorités. « Les ‘parrains’ sont des acteurs essentiels dans ce processus, insiste Martine Omé. Ce sont d’anciens apprenants qui jettent une sorte de pont culturel entre les bénévoles et les primo-arrivants. Au début, ils servaient seulement de traducteurs, mais nous avons constaté que cette expérience les valorisait et les aidait à s’ouvrir vers l’extérieur. Désormais, ils jouent donc aussi, en cas de nécessité, un rôle de facilitateurs». De même, les bénévoles incitent les participants au projet santé d’ANAMA à intégrer d’autres ateliers de l’association.  « Les ateliers cuisine, en particulier, où ils peuvent acquérir de nouvelles connaissances tout en fréquentant d’autres personnes et d’autres cultures. D’après l’OMS, la santé est ‘un état complet de bien-être physique, mental et social. Autrement dit, les rencontres, les relations sociales, le partage, c’est aussi la santé»!

Personne de contact :
Martine Omé

©DisobeyArt

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